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​Le manyahuli ou la transmission des biens par voie matrilinéaire : un vrai paradoxe en pays musulman sunnite de rite chaféite

Au-delà de l’organisation sociale hiérarchisée en hirimu ou classes d’âge(les wanamdji, ceux qui n’ont pas fait le grand mariage, et les wandru wadzima, ceux qui l’ont fait), une autre spécificité caractérise la Grande Comore : le manyahuli
Le manyahuli est un système de transmission des biens par voie matrilinéaire et qui remonterait de la première organisation sociale des Maferembwe(ils sont originaires du continent africain, et plus particulièrement la cote est-africaine). De nombreux chercheurs (Damir Ben Ali, Françoise Le Gurnnec-Coppens, Sophie Blanchy, Mouhssini Hassani-El-Barwane, Mahamoudou Said, etc.) insistent sur la notion d’un système foncier immobilisé qui est souvent appelé par les Grands Comoriens daho ou maison. Cette maison, qui est définie comme djando lahe arhami( la fondation de la famille), est indivisible, invendable et inaliénable.

Et ce sont les femmes, le mba ntche(le ventre maternel), qui ont la charge exclusive de cette maison, surtout l’ainée de la famille(jouissance d’un droit d’aînesse). Mais l’ainée n’a aucun droit de plus que ses cadettes. Elle exerce seulement une autorité morale pour conserver le bien familial.

La maison ou la terre manyahuli peut être vendue mais en cas de force majeure. Sur ce point, Mahamoudou Said est explicite : « C’est le cas lorsque le fruit de la vente est destiné au prestige familial (Ainoudine Antoy, 1997) : réalisation du pèlerinage à la Mecque, réalisation du grand mariage, établissement d’un membre de la famille en France, etc.»(Mahamoudou Said, Foncier société aux Comores, p.160) Souvent, c’est le mdjomba ho husheni ou oncle maternel qui suscite cette vente s’il n’a pas les moyens financiers lui permettant de réaliser son grand mariage : «Moi, je n’avais rien, ma famille était obligée de ventre une maison manyahuli pour que je puisse devenir notable. Ils l’ont fait car je représente toute leur famille» (entretien, notable, 2010).

En ce qui concerne le paradoxe entre ce système et le droit successoral islamique, c’est Françoise Le Guennec-Coppens qui évoque « un système de transmission peu orthodoxe en pays musulman » (Gast, Hériter en pays musulman, habus, lait vivant, manyahuli, Paris, Eds. Du CNRS, pp.257-268). Ce système « peu orthodoxe » est aussi expliqué par S. Blanchy : «Dans ce domaine, deux univers s’affrontent le mila na ntsi, ensemble des coutumes traditionnelles, et le dini, la religion, c’est-à-dire l’islam. Au vu des chroniques judiciaires, on peut dire qu’il y a constamment entre les deux systèmes successoraux, et des plaintes des deux sortes d’héritiers, les héritiers coraniques et les membres de l’hinya »(S. Blanchy, Journal des Africanistes, p. 24, 1992).

Ibrahim Barwane
Ibrahim Barwane
Enfin, pour conclure, la définition de Damir Ben Ali nous parait fort intéressante pour comprendre la complexité de ce paradoxe : «Le droit coutumier est le résultat de l’interpénétration des règles coutumières bantoues et d’un Islam sunnite très orthodoxe, qui ne reconnait aucune autorité de type cléricale en dehors des activités cultuelles» (conférence du 6 novembre 2014).

Ibrahim Barwane

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