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​L’émergence économique et sociale: L’Union des Comores est-elle prête ?

Nous lisons ici et là des articles et des commentaires rédigés par plusieurs intellectuels comoriens, dans lesquels nous distinguons très fortement l’annonce d’une émergence imminente avec le président et le gouvernement actuel de notre pays. C’est dans ce contexte, que je vous invite à lire avec moi, l’article ci-dessous qui explique largement « une émergence économique et sociale ». Je suis en perplexe, car, ma connaissance en ce domaine exigent est encore insuffisante, mais, je suis persuadé, que nous n’avons pas compris où nous sous-estimons le travail à faire pour arriver à un tel résultat. Savent-ils que :

L’objectif de toute nation est d’accéder au stade du développement intégral et de permettre à chacun de ces citoyens de vivre la vie qui a de la valeur à ses yeux, pour reprendre les mots du prix Nobel Amartya Sen. Le développement implique quelque chose de plus que la croissance économique définie généralement comme l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) d’une année sur l’autre. Il pourrait se traduire comme la croissance plus la transformation (Gérald M. Meier, 1995) et se manifeste notamment par l’amélioration des performances des facteurs de production, par la densification et la modernisation du réseau d’infrastructures, par le développement des institutions et par le changement des attitudes et des valeurs, et par « un mouvement haussier de l’ensemble du système social » (Gunnar Myrdal : le drame asiatique (1968)). 

Partant de ce postulat, les économistes séparent traditionnellement les nations du monde en deux groupes : celui des pays développés et celui des pays en développement (ou du tiers monde). Parfois, un sous-groupe des pays moins avancés est identifié au sein du second groupe, visant les pays les plus pauvres parmi les pauvres et, caractérisés par un revenu par tête faible.

Récemment, les termes de pays émergent et de marché émergent ont également fait leur apparition dans la littérature, désignant les pays les plus dynamiques parmi les pays en voie de développement et les mieux intégrés dans l’économie désormais mondialisée, sans qu’une définition exacte soit élaborée à cet effet, encore moins des éléments de mesure discriminants.

Selon le dictionnaire Le Robert, «émerger » se dit d’un phénomène «qui s’impose à l’attention par sa valeur ». Subséquemment, on peut considérer qu’un pays, anciennement pauvre, émerge lorsqu’il suscite l’intérêt et se démarque de la masse des nations sous développées et situées en marge des échanges mondiaux de biens, de services et d’idées. Mais, à partir de quel moment, dans son cheminement vers le progrès économique, peut-on considérer qu’un pays est réellement devenu émergent ? Cette question est d’autant plus pertinente qu’aujourd’hui plusieurs pays, sur tous les continents, prétendent avoir atteint le stade de l’émergence. Et, il est d’autant plus difficile de les départager qu’il n’existe à ce jour aucune définition consensuelle de la notion d’émergence. La même problématique se posait avec le concept de « décollage » de Walt W.Rostow.

Walt W. Rostow (1960) considère cinq étapes par lesquelles passent tous les pays: la société traditionnelle, l’émergence des pré-conditions du décollage, le décollage, la marche vers la maturité et l’ère de la consommation de masse. La phase du décollage étant la plus importante pour les pays en développement. Il s’agit d’une période où « l’échelle d’activité économique productive atteint un niveau critique et produit des changements qualitatifs qui mènent à une transformation structurelle massive et progressive dans l’économie et la société ». 
Le décollage requiert trois conditions :

• une hausse du taux d’investissement productif, passant par exemple de 15% à 30% du PIB ;

• le développement d’un ou plusieurs secteurs manufacturiers, avec un fort rythme de croissance ;

• l’existence ou l’émergence rapide d’un système politique, social et institutionnel qui, en exploitant finement l’expansion initiale dans le secteur moderne et les potentiels effets externes économiques du décollage, arrive à donner à la croissance un caractère continu.
La notion d’émergence est une variation, adaptée à la mondialisation en cours, sur le même thème de « décollage ». Elle marque un réel point tournant, faisant passer un pays pauvre d’un équilibre de faible croissance à un meilleur équilibre de croissance forte et durable. Bien cerné, le concept d’émergence viendrait ainsi apporter une grande contribution à la théorie du développement. Car, jusqu’ici le seul but fixé aux nations pauvres est de chercher à converger avec les pays riches. Or, la convergence est un chantier de longue portée (des dizaines voire des centaines d’années), comme en atteste l’histoire économique contemporaine.

Et, ne retenir comme cible que cet horizon lointain conduirait à inclure, pour longtemps, dans le même ensemble de pays en développement des nations aux trajectoires et aux perspectives fort divergentes. Aujourd’hui, Singapour continue ainsi d’être classé, par la CNUCED, avec la Sierra Léone (qui est particulièrement pauvre), dans la catégorie des pays en développement, alors même qu’il n’a presque plus rien à envier aux pays les plus avancés d’Europe et d’Amérique. Une classification nette des nations en développement, identifiant des strates plus fines de pays, s’avère donc indispensable afin de tenir réellement compte de la réalité.

Un tel exercice répond à des exigences d’équité et de rigueur statistique. Il possède une autre vertu : celle de sanctionner positivement les progrès accomplis par les pays les plus performants et de leur permettre de célébrer des victoires intermédiaires (« quick wins ») stimulantes pour continuer à mobiliser les énergies, poursuivre dans la voie tracée, engager d’autres réformes structurantes et institutionnaliser les bonnes pratiques. Une telle étape est hautement importante dans le processus de transformation que constitue le chantier du développement. C’est dans ce cadre que se situe la présente étude. Elle vise à proposer une possible définition de ce qu’est un pays émergent et à déterminer, à travers un indice synthétique, le stade à partir duquel un pays accède à l’émergence économique.
E1: Stabilité politique et macroéconomique

•la stabilité politique et sociale et un bon cadre de vie (sécurité, propreté, infrastructures sanitaires adaptées, etc.) ;

•une gestion saine et dynamique des finances publiques (y compris la priorité accordée, dans les dépenses, aux investissements dans le développement des ressources humaines et des infrastructures) ;

•une inflation modérée et un taux de change réaliste ;
E2 : Dynamisme économique et ouverture:

•une croissance du PIB en hausse tendancielle ;

•la libéralisation des activités économiques et des prix, couplée avec la mise en place d’un cadre réglementaire efficace de manière à supprimer les positions de rente et à consacrer la compétition;

•l’ouverture de l’économie sur l’extérieur (outward-looking policy), par la libéralisation des échanges et la construction de grands marchés intégrés avec les pays voisins, et l’encouragement des investissements étrangers par la levée des barrières entravant leur venue;

•la limitation de l’intervention de l’Etat dans l’économie au strict nécessaire;

•l’existence d’un secteur privé local dynamique, compétitif, créatif, intègre et

visionnaire ;

•la capacité à générer une forte épargne locale et la disponibilité d’un bon système bancaire et financier local, régulé par des instances de supervision efficaces et capable de faire une allocation optimale des ressources. Le corollaire en est la transparence et la fiabilité des informations économiques, permettant l’évaluation correcte des performances et des potentialités des entreprises;

• la mise en place d’un système d’incitations de qualité (fiscalité, terrains et bâtiments industriels, politique agricole, etc.);
E3 : Un cadre réglementaire de qualité:

•la rationalisation des procédures administratives liées à l’exercice des activités économiques et la lutte contre la corruption;

• la promotion d’une administration publique compétente, intègre, crédible et prévisible, accueillante et déterminée à faire gagner le secteur privé;

• la mise en place d’un système juridique et judiciaire crédible, capable de faire appliquer la loi, dans l’équité et dans la transparence, en particulier à faire respecter les droits de propriété et les contrats ;
E4 : Des bases à long terme du développement adaptées:

• la capacité à absorber et à adapter les nouvelles technologies, y compris les NTIC;

•la disponibilité d’une main d’œuvre locale bien formée, qualifiée, productive et alliée avec les employeurs pour faire progresser l’entreprise;

•la répartition équitable des fruits de la croissance pour renforcer la cohésion sociale;

•l’existence de bonnes infrastructures et d’un bon système de télécommunications;
E5 : La capacité et la volonté à attirer les investisseurs

•la mise en œuvre d’une bonne promotion du pays, à travers des agences de promotion et des stratégies de communication gagnantes ;

•le consensus national sur les orientations que voilà pour les rendre irréversibles.

Plusieurs de ces éléments ont été listés dans ce que l’on a convenu d’appeler «Consensus de Washington» (version initiale puis révisée) qui a longtemps guidé et qui continue encore de guider fortement le dialogue entre les institutions de Bretton Woods et les autorités des pays pauvres. Mais comme le note Rodrick (2004 à, 2004 b), le pays pauvre qui satisfait l’ensemble des prescriptions du Consensus de Washington devient de facto un pays développé. Ainsi, plutôt que de chercher à tout corriger à la fois, un pays doit identifier, à travers un diagnostic stratégique, les obstacles les plus sérieux qui freinent sa compétitivité internationale et engager les réformes prioritaires ayant le plus d’impact sur la croissance. Par exemple, pour l’Inde, en 1980, la principale contrainte résidait dans ce que l’État était perçu comme un acteur hostile au secteur privé; pour la Chine, en 1978, la contrainte était l’absence d’incitations orientées vers le marché. Une fois la dynamique de croissance enclenchée, les réformes pourront être accélérées et leurs coûts distribués sur la durée.
E6 : Émergence économique et émergence sociale

L’homme devant être au début et à la fin du développement, pour paraphraser Léopold S. Senghor, le concept d’émergence ne peut être uniquement appréhendé sous l’angle économique. Les citoyens d’un pays qui émerge doivent sentir dans leur vie quotidienne que leur bien-être s’améliore et que des opportunités nouvelles d’éducation, de santé, d’emplois et de revenus se présentent pour eux. L’émergence doit ainsi être également sociale.

Inversement, l’émergence économique ne peut être durable que si certains pré-requis sont satisfaits dans le domaine social. Il est désormais universellement admis que la qualité du capital humain (une population éduquée, bien nourrie et en bonne santé) est un des facteurs les plus déterminants de la croissance économique, surtout dans le nouvel environnement de la mondialisation où le savoir et le savoir-faire jouent un rôle central dans la hausse de la productivité des économies. 
E7 : Émergence économique et émergence sociale

Les calculs réalisés par la Banque Mondiale et par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), comparant d’une part l’évolution respective du PIB par tête et du taux de pauvreté et, d’autre part le PIB par tête et l’Indicateur de Pauvreté Humaine (IPH) de différents pays pour une année donnée, montrent que la corrélation est souvent établie entre les variables de croissance économique et celles de pauvreté. En d’autres termes, un pays améliore ses indices sociaux au fur et à mesure qu’il s’enrichit. Mais il ne s’agit point de causalité puisque le classement des pays en termes de pauvreté humaine ne suit pas rigoureusement celui établi à partir des niveaux de revenu par tête. La qualité de la politique menée en termes de redistribution des fruits de la croissance compte aussi dans l’impact réel du dynamisme économique sur le niveau de vie des pauvres.
E8 : Émergence et qualité des institutions

Le rôle des institutions est bien mis en évidence par Kaufmann et al. (2005), en se fondant sur l’élaboration d’un indicateur synthétique de la bonne gouvernance (mesurant la qualité des institutions), et incluant les droits humains et démocratiques, la stabilité politique et l’absence de violence politique, l’efficacité du gouvernement, la simplicité et la rapidité des procédures administrative, le respect des règles de droit et la lutte contre la corruption.

Testant cet indicateur, FMI (2005) a trouvé qu’il existe une forte corrélation entre la bonne gouvernance et le niveau du revenu national par tête. En particulier, l’Afrique subsaharienne aurait multiplié son PIB par tête de deux fois et demie si ses institutions étaient établies au niveau de la qualité moyenne des institutions dans le monde. FMI (2005) a également découvert que les institutions exercent un impact significatif sur la croissance économique future, en ce qu’elles favorisent la durabilité des bonnes pratiques en matière de politique économique. En outre, des institutions de qualité permettent de réduire la volatilité de la croissance et facilitent donc la réalisation des objectifs économiques et sociaux du pays considéré.
La mise à niveau du Service Public

•Mettre sous tension les ministères et les services de l’Etat pour qu’ils s’efforcent de réaliser les objectifs qui leur sont fixés dans le cadre du programme.

La nécessité d’un consensus national

•La cohérence de l’agenda, sur la durée, demeure le facteur-clé de succès.

•C’est pourquoi, un consensus devra faire jour entre les principaux partis politiques sur le programme de l’émergence, et chaque nouveau gouvernement pourra alors consolider les acquis de son prédécesseur et initier les chantiers suivants.
L’adoption au niveau national des nouvelles valeurs de l’émergence

•Encourager les populations à adopter les valeurs positives favorables à l’émergence (recherche du savoir et de la productivité, épargne, intégrité, civisme et discipline, esprit d’entreprise, coopération avec les autres).
Un dispositif institutionnel garant de la bonne gouvernance

•Créer un Conseil national de l’Emergence ouvert au secteur privé et aux travailleurs, pour mobiliser tous les acteurs et les inciter à apporter leur pleine contribution à la mise en œuvre du programme.

•Mettre sur pied une Délégation à l’Emergence Economique, chargée de coordonner le programme de l’émergence.

•Planifier les actions de mise à niveau à mener et fixer des priorités.

•Organiser des ateliers de mise à niveau des agents de l’Etat, des acteurs privés et des travailleurs.
Un dispositif institutionnel garant de la bonne gouvernance

•Mettre sur pied un tableau de bord et des indicateurs de progrès

•Editer une Lettre mensuelle «Emergence».

•Préparer un rapport trimestriel et un rapport annuel d’évaluation du programme, qui seront examinés en Conseil des ministres et au Parlement, puis portés à l’attention des citoyens.
En conclusion

Devenir un pays émergent exigera un effort de longue durée. Mais le plus important est de démarrer le processus, de mettre en place le cadre institutionnel favorable et d’appliquer, avec ténacité et avec détermination, le plan d’actions retenu. C’est cette voie qu’ont suivie la Malaisie de Mohammed Mahathir et Singapour de Lee Kuan Yiew, pour, en moins de trente ans, passer du Tiers monde (« Third World ») au groupe des pays nouvellement industrialisés (« First World »).

Eu égard à l’ampleur du programme de réformes, sa mise en œuvre sera davantage facilitée si elle est initiée par un gouvernement qui s’installe aux commandes de l’Etat, qui bénéficie alors de la confiance des populations et qui possède le temps minimal pour attaquer sereinement les importants chantiers de l’émergence.
En fin

Seul un leadership de qualité peut réussir l’émergence. Le Président de la République, le Premier Ministre et les membres du gouvernement doivent donc se convaincre eux-mêmes de la nécessité d’enclencher la marche vers l’émergence, connaître le chemin et s’y engager avec foi et volontarisme. Un pays ne pourra ainsi devenir émergent que si ses leaders sont en phase avec les exigences de l’émergence. Ce leadership de qualité devra ensuite définir une méthode et un agenda prioritaire. C’est dans cette raison, que je crois que notre pays n’est pas encore prêt à se lancer dans une telle aventure qui nécessite plusieurs démarches et conditions très importantes  dont nous ne remplissons aucune à ce jour. Nous savons tous que l’émergence économique et sociale est un grand projet qui se prépare pendant plusieurs années d’avance. Qui est donc le porteur de ce fameux projet indispensable dans notre pays ?
Pour plus de renseignement, consultez l’ouvrage de Moubarack LO sur l’Émergence Économique et Sociale.

Abdou Salami Mohamed 

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