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​Le ménestrel de l’islam aux Comores et de la langue comorienne s’est éteint hier

Il s’appelait Abu Bacar Chamasse. Un homme dont le nom, l’humanité, le savoir et surtout la voix ne pouvaient laisser personne indifférent. Est-ce le récitateur du Saint-Coran que l’on retiendra? Les ondes de la radio nationale comorienne, du temps où elle s’appelait Radio-Comores à nos jours, ont vibré et continueront de vibrer par la voix extraordinaire de cet homme, qui, bien que non-voyant de naissance, a appris le Coran par cœur et le récitait mieux que personne. J’ai en tête les versets de la fin de sourate al-Mutaffifîn (les fraudeurs) qu’il a enregistrés, très jeune, à la Radio-Comores, qui les repassait très souvent. C’était tout simplement magique. Une voix d’une grâce venant d’ailleurs. 
Ou plutôt le troubadour, le ménestrel, le jongleur des mots de la langue comorienne? Il la maîtrisait à la perfection. C’était un magicien. Et ce n’est pas vrai, on ne devient pas poète, on le naît. Chammasse est un poète-né. Il avait le don de tisser les mots, de les filer, à la manière d’un peintre qui sait marier les couleurs que Dame nature lui a offertes, pour te confectionner de ces chants ensorceleurs, qu’il enrobait de sa voix mélodieuse que rien n’égale. Qui ne fredonne pas ses chants aux Comores? 

L’éducateur? Ses chants avaient exclusivement un but: éduquer dans et par la distraction. Il dénonçait tour à tour les faux-religieux, adeptes du « faites ce que je dis, pas ce que je fais », les politiques budgétivores qui ont ruiné ce petit pays de même pas un million d’habitants et aussi grand qu’un petit département français, au point qu’il n’y a ni route, ni eau courante, ni électricité, ni éducation qui fonctionne. Ses flèches verbales les ont constamment pris pour cibles. Et pour cause, les malheurs de toute société viennent des élites corrompues. Qu’elles soient religieuses ou politiques. Pour dénoncer les premières, il a filé le célèbre « usilamu tsi kofia, tsi djuba na kandu ndjewu. Usilamu nde zitrendwa » voulant dire littéralement « l’islam ce n’est pas porter un bonnet, un manteau ou une djellaba blanche. L’islam c’est les actes ». 

Quant aux secondes, il les a livrées en pâture à la postérité en les comparant à un vautour qui, en bon charognard, veille à tout dévorer, y compris l’os. 

Les tares de la société n’ont pas échappé à sa langue incisive. 

De l’éducation de la femme à la nécessité de s’instruire, en passant par les causes internationales, comme l’appartheid en Afrique du Sud, l’injustice sans nom dont est victime le peuple palestinien, Chammasse a été de tous les combats. 

Et le polyglotte? J’ai en mémoire une soirée que j’ai passée avec lui en 2009 ou 10 chez moi. Il y avait mon père, un de mes frères, et moi. Il nous a parlé jusqu’à pas d’heure des chants en ourdou qu’il composait pour le Prophète Muhammad. Et il en a chanté bon nombre d’entre eux. Dont un qui me remonte à la tête tel des effluves. Il commençait par quelque chose du style « Madina Kevali ». Ne me demandez pas ce que cela veut dire. Autant que je m’en souvienne, ça parlait de la ville de Médine, où le Prophète a trouvé refuge après avoir été chassé par les siens. Ça a été pour moi l’occasion d’apprendre la place on ne peut plus particulière de la ville de Médine dans le cœur des musulmans du sous-continent indien. 

Ce fut un moment magique, une soirée extraordinaire. Un instant de grâce que les octaves de cette voix extraordinaire ont gravé pour toujours dans mon petit esprit.

Il a parcouru l’Afrique, d’Est en Ouest, du Nord au Sud, chantant la justice, chantant l’amour. Il a parlé au monde indien, dont il maîtrisait et la culture et la langue, en Europe, en Amérique, sans doute. Il a fait l’Asie, louant Dieu, récitant Son livre. Il a fait le tour du monde, chantant l’amour du Prophète, propageant son comportement et ses mérites.

Mohamed Bajrafil.
Mohamed Bajrafil.
Adieu grand frère. Adieu Qari Sahb! Tu n’es pas mort, tu t’es juste absenté. Ta voix nous accompagnera pour toujours. Puisse Dieu élever ton rang au Paradis.

Délectons-nous de sa voix extraordinaire psalmodiant le Coran:

https://m.youtube.com/watch?v=U_58SFx63BU

Auteur de l’article: Mohamed Bajrafil

IMPORTANT : Mohamed Bajrafil est l’auteur de l’article, il rend hommage à chamass. 

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3 commentaires sur ​Le ménestrel de l’islam aux Comores et de la langue comorienne s’est éteint hier

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