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A Mayotte, le croque-mort de l’île entrepose les corps dans son jardin

« A Mayotte, les morts, aussi, sont les oubliés de la République. » »

Jean Lhuillier, le directeur des pompes funèbres, vous reçoit dans sa villa, sur les hauteurs de Tsoundzou II, un village résidentiel, perché sur la côte est de l’île. Une fois le portail franchi, le visiteur est accueilli par deux entrées. A gauche, un escalier qui mène à un logement privé encore en construction, mais avec chiens de garde et piscine déjà remplie d’eau. A droite, les locaux des Transports posthumes de Mayotte, avec bureau climatisé et container frigorifique, faisant office de chambre funéraire.

Jean Lhuillier, 57 ans, dont vingt-deux passés à Mayotte, arbore des tatouages colorés et un tee-shirt noir siglé, dans le dos, « PFM », pour Pompes Funèbres de Mayotte. Il a longtemps été le seul croque-mort de l’île (une deuxième entreprise a ouvert il y a deux ans). Et c’est sans doute l’un des seuls en France à entreposer les morts dans son jardin.
« Les deux frigos étaient pleins »

Cela fait plus de dix ans qu’il est tenu, sous réquisition des pouvoirs publics, de prendre en charge les dépouilles qui n’ont pas trouvé de place dans les deux casiers de l’hôpital public de Mamoudzou, la préfecture, les seuls à disposition pour toute l’île (auxquels il faut ajouter un container frigorifique d’appoint). Mayotte, département de 256.000 habitants, la plus forte densité de population de la France d’outre-mer, ne dispose d’aucune chambre mortuaire.

La veille encore, l’hôpital de Mayotte, dont « les deux frigos étaient pleins », l’a appelé pour qu’il vienne chercher le corps d’un homme. Il venait de mourir à 55 ans et il fallait le ramener dans son village, Tsimkoura, à une trentaine de kilomètres plus au sud. Autant dire une expédition, dans une île en insurrection depuis trois semaines, qui proteste contre l’insécurité et l’immigration clandestine en provenance des Comores, à coup de grève générale, de barrages et de manifestations. Jean Lhuillier raconte :
«  »D’habitude, ça prend une heure, mais j’ai dû négocier à chaque barrage qu’on me laisse passer parce que j’avais un mort dans mon camion. Arrivé à 17 heures à l’hôpital, je ne suis rentré chez moi qu’à 2 heures du matin. » »
Terrains inconstructibles

Il y a bien eu des projets de chambre mortuaire sur l’île, mais ils ont été abandonnés, pour cause de terrains inconstructibles ou aux caractéristiques naturelles incompatibles. Jean Lhuillier a fini par saisir le Défenseur des droits « afin que les Mahorais puissent entreposer leurs morts dignement avant de les inhumer ». Il a reçu une fin de non-recevoir : « Les services de la Préfecture de Mayotte ont tenu à préciser que la création d’une chambre funéraire […] relevait d’une initiative strictement privée et n’avait aucun caractère obligatoire », lui a écrit le délégué général à la médiation avec les services publics.
«  »Ils ont indiqué que le Centre hospitalier de Mayotte disposait d’une cellule réfrigérante de deux casiers qui répond actuellement aux besoins du département, eu égard au nombre de décès annuels comptabilisés et aux rites musulmans [la religion de 95% des Mahorais, NDLR], limitant la conservation des dépouilles à un minimum. » »

La lettre est arrivée le 11 janvier. Ce jour-là, sept corps étaient entreposés dans le container frigorifique du jardin de Jean Lhuillier. Certains y sont restés plus de trois mois, alors que chez les musulmans, l’inhumation doit avoir lieu dans les 24 heures après le décès, avant le coucher du soleil si la mort a eu lieu le matin et le lendemain matin s’il est survenu le soir.

Parmi les corps, ceux de deux fillettes comoriennes, dont on ne saura sans doute jamais le nom, repêchées au large, et celui d’un garçon de 7 ans, retrouvé sur une plage, lui aussi venu en kwassa d’Anjouan, l’île la plus proche de l’archipel des Comores, à seulement 70 kilomètres de Mayotte.

Lobs

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