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Afghanistan : le retrait du matériel français, une "opération militaire" à part entière

C’est le drôle d’inventaire de la guerre. On y trouve, étalés au sol, manilles et câbles, entonnoirs et poulies, mais aussi postes radio, brouilleurs, plaques de Kevlar, munitions. Sur la base militaire internationale de Warehouse, à Kaboul, blindés et véhicules de déminage ont été alignés à la queue leu leu sur 200 mètres, lundi 19 novembre, pour être aussitôt vidés de tout leur petit matériel. Le « bataillon logistique » est à l’œuvre, pour remplir les centaines de containers qui vont rejoindre la France dans quelques heures. L’armée française plie bagages. Dans les hangars de la base de l’OTAN, les rayons des « magasins » français alignent des rangées de mitrailleuses 12,7 mm parfaitement étiquetées, des lots de chargeurs de Famas scotchés serrés par six. Les destinations s’affichent sur les montagnes de caisses : Clermont-Ferrand, Versailles, Douai… « On vide », résume le lieutenant F.X., chef de la section approvisionnement. A raison de 100 véhicules militaires ainsi conditionnés par mois – vidés, lavés, pesés, contrôlés –, il reste six mois pour achever cette partie de la manœuvre du retrait d’Afghanistan.

« OPÉRATION MILITAIRE »

Depuis le 1er juin, et l’ordre présidentiel d’accélérer le retour des troupes pour la fin de l’année 2012, les logisticiens ne dorment plus. Le plan de « désengagement » du pays, sur lequel l’état-major avait commencé à travailler six mois plus tôt par anticipation, est à son apogée. Depuis octobre, une sorte de pont aérien, évacue ainsi, de nuit, les traces de dix ans de combats. Une « opération militaire en tant que telle », disent les gradés. Jamais la France n’avait, au fil des années, expédié autant de matériel dans un pays si lointain et enclavé. Le colonel Bernard Laurent, qui pilote cet effort, ne voit pas de référence comparable : « Technique, administrative, logistique, l’opération est vraiment la partie immergée de l’iceberg. »

En juin, 15% des matériels de l’armée française avaient déjà été rapatriés. On en est à la moitié. Kaboul est devenu une plateforme de marchandises, dont la mesure n’est plus le camion ou le groupe électrogène, mais l’« unité à transporter », transformée en UAT par le virus des sigles qui sévit dans les armées.

Il reste donc 1 200 UAT à expédier en France, soit 600 véhicules de combat et 600 containers. Le dépôt des munitions, installé à la sortie de Kaboul, à Pol-e-Sharki, contient lui 50 UAT. Le camp de Warehouse, sous commandement français, a été réaménagé pour stocker 800 UAT. Sachant qu’un avion gros-porteur russe Antonov 124 porte 10 UAT, il est possible de calculer combien il faudra encore en louer, à prix d’or, pour quitter l’Afghanistan. La France ne laisse que peu de choses sur le sol afghan, l’armée du pays étant inondée de matériel américain. L’on détruit même ce qu’il coûterait trop cher de réparer, tant certains matériels sont anciens, quelques VAB (véhicule de l’avant blindé) de trente-cinq ans d’âge par exemple.

Un avion cargo géant Antonov 124.

Le budget prévu pour sortir cette montagne de ferraille d’Afghanistan est évalué entre 300 et 500 millions d’euros. Tout dépendra des routes de sortie. A ce jour, seule la voie aérienne est empruntée, la plus onéreuse, mais la plus rapide. Commode, aussi : tout peut être expédié, sauf les piles au lithium, que la réglementation aérienne internationale prohibe.

NÉGOCIATION FINANCIÈRE

Les gros porteurs partent de Kaboul pour suivre deux routes. Soit ils rejoignent directement la France – c’est la voie royale, celle des matériels « sensibles », à 450 000 euros le vol. Soit ils s’arrêtent sur la base française des Emirats arabes unis, d’où des bateaux prennent le relais, c’est moins cher. Les voies routières ne sont pas encore ouvertes, malgré des accords politiques passés ces derniers mois avec les pays concernés, au Nord, le Kazakstan et l’Ouzbékistan, au Sud, le Pakistan.

Car, mercredi 14 novembre, puis le dimanche suivant, à deux reprises, d’importantes réunions entre la force de l’OTAN et les douanes afghanes ont été reportées. Les forces de la coalition ne savent toujours pas quelles formalités sont exigées d’elles pour sortir, par voie terrestre, du pays qu’elles occupent depuis 2001.

La voie du sud, qui traverserait le Pakistan pour rejoindre le port de Karachi, a fait l’objet d’un accord négocié par les Américains, que les Pakistanais sont prêts à ouvrir aux autres membres de la coalition. Le plan a été retardé après la mort de nombreux civils tués par un drone américain en novembre 2011. Puis une phase de négociation financière difficile s’est engagée, qui a abouti très récemment : ce sera 5 500 dollars (4 300 euros) par container. La voie aérienne française coûte entre 5 à 10 fois plus cher, ont confirmé les officiers français à Kaboul.

La voie du nord consisterait à rejoindre par la route des bases chez l’un des deux voisins de l’Afghanistan, avant de placer les containers sur le rail jusqu’à la France. Au Kazakstan, il s’agit de la base militaire de Chimkent. Les autorités du pays tentent de faire monter les enchères pour que l’opération afghane soit profitable : elles demandent à la France de construire un hangar et de rénover une piste d’atterrissage. En Ouzbékistan, les convois passeraient par Termez dès l’accord douanier scellé avec les Afghans. Mais, outre les prélèvements financiers qui ne manqueront pas en cours de route, l’affaire se complique par de subtiles négociations sur la nature des matériels en transit. Les Ouzbeks ne veulent pas de « véhicules blindés ». Il faut encore les convaincre qu’habillés en UAT, ils seront plus présentables.

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