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Avec le budget de l’UE, on touche "les limites de l’esprit de solidarité entre Etats européens"

David Cameron, le premier ministre britannique, est au centre de toutes les attentions.

Dans un chat au Monde.fr, Philippe Ricard, correspondant du Monde à Bruxelles, explique que « plus que jamais, par ces temps de crise, les gouvernements cherchent à défendre leurs intérêts nationaux ». Suite à l’échec du sommet, « David Cameron portera une lourde responsabilité ».

Exa : L’échec du sommet veut-il dire que l’Europe n’a pas de budget ?

Non. La négociation porte sur le budget des Vingt-Sept pour la période comprise entre 2014 et 2020. Un échec lors de ce sommet ne concerne donc pas le budget pour l’année 2013. Celui-ci fait l’objet de tractations, tendues par ailleurs.

Mais concernant la période 2014-2020, les chefs d’Etat et de gouvernement ont encore quelques mois pour tenter de se mettre d’accord. Mme Merkel considère, par exemple, qu’un compromis peut être trouvé d’ici à mars 2013 afin de sécuriser le budget sur la période en question.

Fix : On a l’impression que les chefs d’Etat sont arrivés à Bruxelles en sachant qu’il n’y aurait pas d’accord…

En effet, un compromis lors de ce sommet était jugé peu probable avant la réunion. En général, sur ce genre de grandes négociations budgétaires, chefs d’Etat et de gouvernement s’y reprennent à deux fois avant de se mettre d’accord. Cette fois, les positions radicales de David Cameron en vue de réduire drastiquement le montant total du budget ont compliqué les préparatifs du sommet.

Fabrice : Qui est coupable d’un échec ? C’est donc David Cameron…

David Cameron porte en effet une lourde responsabilité. Mais le premier ministre britannique n’est pas le seul responsable. Il s’efforçait même, ces dernières heures, d’afficher un état d’esprit constructif. La vraie difficulté est de concilier les positions de ceux qui, comme Cameron, veulent amplifier les coupes budgétaires, et ceux qui, comme Hollande, ne sont pas prêts à faire les choix que cette rigueur risque de devoir imposer.

Visiteur : Le sommet risque-t-il d’entraîner le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ?

Non. Il ne faut pas se tromper d’enjeu. Angela Merkel, la première, est d’avis que les négociations doivent déboucher à vingt-sept. Ce sont les Français qui, contre l’avis de la chancelière, tentent de lier les deux aspects. Il est vrai que David Cameron est sous pression dans son pays sur les questions européennes, étant donné le radicalisme des plus eurosceptiques de son parti. Mais le premier ministre britannique lui-même semble soucieux de ralentir la dérive du Royaume-Unis vers une sortie de l’Union européenne. D’où son intention de tenter, malgré tout, d’arracher un compromis à vingt-sept.

Oskar : L’UE ne se porterait-elle pas mieux sans les Anglais ?

La question d’une sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni se pose, en effet, comme jamais. Elle n’est pas directemeent liée à la question budgétaire, mais se pose surtout dans le contexte de la crise de zone euro. Les Britanniques, que ce soient le gouvernement ou l’opinion publique, sont effrayés par la crise de la dette souveraine et la façon dont elle a été gérée par les pays de la zone euro.

Ils suggèrent aux dirigeants de l’euro d’appronfondir leur intégration, et cherchent dans le même temps à échapper à cet approfondissement. Pour la zone euro, ce surcroît d’intégration est considéré comme une condition de survie. Mais, à terme, l’éloignement du Royaume-Uni vis-à-vis du projet européen peut, cependant, avoir des conséquences fâcheuses.

On peut, par exemple, s’interroger sur le poids des Européens en matière de régulation financière si la City de Londres échappe à toute législation collective. On peut aussi considérer que la diplomatie européenne sera affaiblie si le Royaume-Uni fait bande à part. La dérive du Royaume-Uni peut donc contribuer à affaiblir encore davantage le projet européen.

Rodrigo : D’après vous, est-ce normal que l’on défende un budget qui accorde autant d’argent aux agriculteurs, alors qu’ils ne représentent plus grand-chose dans nos pays ?

Europe3 : Et et si la France faisait un geste en abandonnant les sommes incroyables reçues pour la politique agricole commune (PAC) en échange de dépenses de croissance, de recherche et développement, d’éducation ou de dépenses pour les plus démunis ? La PAC représente 40 % du budget de l’UE !

La position de François Hollande et de la France est en effet très paradoxale. Le chef de l’Etat fait partie des dirigeants à la tête de pays contributeurs nets : il a donc entamé la négociation en demandant une certaine rigueur dans les dépenses européennes. Depuis son élection, M. Hollande a aussi cherché à réorienter la façon dont les dirigeants de la zone euro géraient la crise des dettes en affirmant vouloir soutenir davantage la croissance, en lieu et place du tout-austérié prôné par Angela Merkel.

Son souci de défendre à tout prix la PAC peut donc étonner dans ce double contexte. Mais il faut bien voir que derrière la politique agricole dont elle est la principale bénéficiaire, Hollande cherche surtout à défendre les retours dont la France profite. Si la France abandonnait la PAC en rase campagne au profit de politiques dont elle bénéficie moins, ce serait sans doute une perte sèche. C’est pourquoi Hollande a repris sans trop de difficultés le discours pro-agricole des dirigeants de la droite française, que ce soient Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy.

Visiteur : On parle déjà d’un tandem « Camerkel » [Cameron-Merkel] qui est en train de s’installer et qui va donc remplacer Merkozy. Comment Hollande a-t-il perdu l’alliance avec l’Allemagne ?

La difficulté pour François Hollande est qu’Angela Merkel ne soutient pas son grand écart budgétaire. La chancelière allemande réclame, elle aussi, des efforts de rigueur, quitte à réduire au passage certaines dépenses agricoles. A la différence des négociations budgétaires précédentes, en 2005, il n’y a donc pas d’alliance franco-allemande pour cadrer les négociations en cours. C’est une des difficultés du présent exercice.

Angela Merkel est donc plus que jamais en position d’arbitre. Mais on ne peut pas dire non plus, à ce stade, qu’elle est sur la même ligne radicale que David Cameron. La chancelière considère que des économies sont encore possibles, même suite aux dernières propositions de M. Van Rompuy, parce qu’il faut tout simplement mettre le budget européen au diapason des efforts de rigueur qu’elle prône pour chaque pays.

Aline : Y a-t-il un risque d’une offensive des marchés financiers après cette nouvelle preuve de faiblesse de l’Europe ?

Pas vraiment. Les marchés financiers sont surtout concentrés sur les difficultés de la zone euro. La crise connaît une phase d’accalmie surtout liée aux annonces de la Banque centrale européenne qui menace d’intervenir si l’Espagne, voire l’Italie, étaient à nouveau attaquées.

L’échec des négociations budgétaires ne va pas embellir la réputation des Européens. Mais il s’agit de discussions de long terme que les Européens ont encore le temps de boucler d’ici à la mi-2013.

Les marchés, en revanche, seront dans les prochains jours beaucoup plus sensibles à la façon dont les Européens et le FMI vont gérer l’interminable sauvetage de la Grèce.

Rob : N’y a-t-il pas au moins dans cet échec le signe d’une crise morale, d’une incapacité des Européens à s’unir quand arrivent les difficultés ?

La difficulté des négociations est liée, c’est vrai, aux limites de l’esprit de solidarité entre les Etats européens. Plus que jamais, par ces temps de crise, les gouvernements cherchent à défendre leurs intérêts nationaux. Ils souhaitent maximiser les retours dont ils peuvent bénéficier du budget européen en limitant autant que possible leurs contributions. Ce n’est pas une surprise de la part de pays comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou la Suède, mais c’est aussi une réalité pour la chancelière allemande. François Hollande ne fait pas exception.

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