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Comores:  » Si on a de l’argent, il faut le montrer…. »

Aux Comores : si on a de l’argent, il faut le montrer en le dépensant très vite, sinon, ça ne sert à rien

Bonjour Madame Villedieu, pourriez-vous nous expliquer quel a été votre parcours professionnel avant de rejoindre les Comores, et de quelle manière êtes-vous arrivée ici ?

J’ai eu une carrière caractérisée par une grande mobilité professionnelle, ainsi qu’une réelle richesse dans les expériences que j’ai pu avoir dans le monde du travail. Cette caractéristique m’a donc permis d’avoir un parcours atypique. J’ai ainsi été ingénieure informatique, puis chef d’entreprise pendant près de 20 ans, mais toujours dans l’hémisphère nord.
A la fin des années 1980 j’ai ressenti un besoin de changement tant sur le plan professionnel que personnel. Je me suis tournée vers l’enseignement et je suis devenue professeure agrégée d’économie, puis Inspectrice pédagogique, avant d’occuper un poste de conseillère spéciale pour 3 recteurs de l’Académie de La Réunion.
J’intègre l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE) en 2004 pour m’occuper de la formation des enseignants dans les 27 établissements français à Madagascar. En septembre 2007, la directrice de l’AEFE est venue me trouver pour me confier la mission de prendre la direction de l’école française de Moroni. Cette dernière rencontrait quelques difficultés, et il devenait urgent de la sortir de ce mauvais pas.
Comment s’est passée votre intégration dans le pays ?
Je connaissais un peu les Comores en tant que touriste d’abord mais aussi à travers les missions de mon époux dans son projet pour la protection des récifs coralliens soutenu par la COI.
Cela faisait 18 ans que je vivais dans la zone Océan Indien. J’avais une bonne connaissance géopolitique des Comores mais aussi des Comoriens. Personnellement, je n’ai pas eu de difficulté d’intégration dans ce pays. De plus, venant de Tananarive, j’étais habituée aux problèmes d’électricité, de distribution de l’eau, de pénurie de gas-oil qui gâchent parfois la vie ! Mais ce sont des problèmes matériels que par nature j’aime dépasser.
J’ai certes vécu quelques moments particulièrement difficiles : le suicide de la gestionnaire pendant le conflit avec Anjouan, le décès d’un élève du collège, le crash du vol Yémenia, et récemment le cancer de mon fils de 34 ans. Je remercie les comoriens pour les témoignages de sympathie et les nombreux exemples de solidarité. C’est comme ça qu’on peut mesurer si on est bien intégrée ou non.
Globalement, je trouve les comoriens très agréables dans les relations au quotidien, prenant le temps de s’exprimer, de vivre à leur rythme… C’est pour moi un plaisir chaque matin de voir les enfants de l’école, tirés à quatre épingles, les mamans dans leurs chiromani coloré et les papas en boubou blanc et koufia le vendredi à la sortie. Je suis toujours étonnée, après 5 ans auprès des comoriens, par leur capacité à « rêver » leur vie : dès 4 ans, les enfants me racontent une version des faits qui s’enrichit au fur et à mesure. et les yeux s’illuminent en même temps. Ici la vie est souvent un vrai conte…
La relation à l’argent est également surprennante : si on a de l’argent, il faut le montrer en le dépensant très vite, sinon, ça ne sert à rien. C’est vrai que dans mon côté professionnel, il m’arrive souvent de briser certains rêves : paiement des écolages, résultats scolaires, retards répétitifs… Mais, je n’ai aucun souci car, ici, la rancune n’existe pas ! Je travaille en parfaite cordialité avec les parents élus au comité de gestion.
Comment l’école française est-elle perçue aux Comores, et quel est le profil des élèves qui y étudient ?
L’école Française est implantée depuis près de 33 ans aux Comores, je crois qu’elle jouit d’une bonne réputation. C’est une institution qui est perçue de manière positive, car elle fonctionne, quelque soit le contexte. C’est un repère de stabilité dans une société en constant changement. Elle est composée de 461 élèves qui sont encadrés par 60 personnels. Elle est ouverte à toutes les nationalités : 70 % des élèves sont français dont 62 % franco comoriens.
Les élèves sont issus de tous les milieux puisque des bourses permettent aux enfants français une prise en charge totale ou partielle des frais d’écolages. Les élèves comoriens (25 % des effectifs) représentent souvent les élites économiques et intellectuelles du pays. Les 7% d’élèves étrangers-tiers sont de 15 nationalités différentes. Les coûts paraissent élevés pour le pays, mais ils sont réalistes.
Comment se porte l’école à l’heure actuelle ?
L’école se porte bien. Sa progression en effectif lui permet d’avoir un bilan positif. La réussite des élèves est également un élément important d’évaluation de la qualité de l’enseignement que nous dispensons.
Quelles différences peuvent exister entre l’école française, et un établissement scolaire en France ? Existe-t-il des différences dans la manière d’enseigner ?
Il n’existe aucune différence sur le programme scolaire, sur les rythmes, sur les diplômes préparés. Ni sur les valeurs en partage.
L’école française joue-t-elle un rôle dans la diffusion et la maitrise de la langue française ?
C’est un rôle primordial ! Nous devons contribuer au rayonnement de la langue et de la culture française. C’est la raison pour laquelle nous essayons de produire des écrits qui marquent notre attachement à la fois à la langue française et notre respect de la langue comorienne. C’est ainsi que nous avons pu produire deux publications ces dernières années, toutes deux bilingues, un abécédaire des Comores déjà paru et un recueil de contes qui devrait paraître à la rentrée scolaire prochaine.
Quelles sont les missions de l’AEFE ?
Les missions de l’AEFE sont de contribuer au renforcement des relations entre les systèmes éducatifs français et étrangers grâce à une étroite collaboration et une approche pluriculturelle. Mais aussi de diffuser le modèle éducatif français à l’étranger avec ses valeurs universelles de tolérance, d’humanisme, de curiosité intellectuelle, de promotion de l’esprit critique, d’égalité des chances et des genres…
Donner les moyens aux enfants de se préparer aux diplômes de l’enseignement français.
Ainsi qu’assurer le continuum pédagogique au sein du réseau pour permettre aux enfants d’expatriés de passer d’un établissement à un autre facilement.
Vous qui êtes à la croisée de deux cultures, quelles évolutions avez-vous pu constater dans la société comorienne ces dernières années ?
(ouverture du pays, moeurs, relations franco-comoriennes…)
C’est comme partout un déchirement entre traditions et modernité. Sans doute plus marqué qu’ailleurs car ici, on peut revenir 20 ans après, peu de choses ont changé… Les relations franco-comoriennes sont du genre je t’aime, moi non plus… Un vieux couple qui n’en finit pas de divorcer… Mais il y a du sentiment !
Comment dirige-t-on un établissement laïc dans un pays musulman ?
Je dirais plutôt que c’est un challenge intéressant et très enrichissant. Par exemple, expliquer la laïcité qui fonde notre enseignement, n’est pas simple du tout : Il faut d’abord prendre assez de recul pour pouvoir dissocier ce qui relève du culturel et ce qui est cultuel.
J’explique le principe de laïcité à nos élèves en leur disant que la « foi religieuse » est quelque chose de strictement personnel qui ne doit pas s’imposer aux autres. Je n’ai pas eu de réelles difficultés à ce sujet ici aux Comores.
Quelles sont les conditions à remplir pour pouvoir inscrire son enfant à l’école française ?
Il faut souhaiter offrir à son enfant un enseignement à la française, dans la langue française… Il faut pourvoir couvrir les frais d’écolages ou, si l’enfant a la nationalité française, fournir les papiers nécessaires à l’obtention d’une bourse.
Que pouvez-vous dire à un jeune enseignant qui désire exercer à l’étranger ?
Foncez ! C’est une source extraordinaire d’enrichissement personnel et professionnel. S’ouvrir au monde et à d’autres cultures, c’est un vrai bonheur. Mais attention, ne partez pas à l’étranger pour fuir vos problèmes… Ils reviendront en effet boomerang. Les expatriations réussies sont celles de professeurs qui ont envie de connaitre les autres, de partager, de découvrir au quotidien la vie des peuples, d’autres patrimoines…
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Bon vent pour la retraite !


Source : AFC
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