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Compétences transférées, ordre constitutionnel altéré

Par une “décision” du 12 avril 2018, le président de l’Union a décidé de transférer les compétences de la Cour constitutionnelle vers la Cour suprême.

Il s’agirait de remédier à la situation de paralysie qui affecte la juridiction constitutionnelle qui est due principalement à un défaut de nomination de ses membres. S’il est indubitable qu’une telle situation ne saurait se prolonger, l’on ne saurait être insensible à la manière suivie pour y mettre fin. La “décision” présidentielle est très contestable au regard du droit. D’une part, aucune des dispositions visées ne saurait fonder une telle démarche. Cela sans compter que, d’autre part, sa finalité concrète débouche sur une modification irrégulière de la Constitution.

Une “décision” sans fondement juridique valable

À l’appui de sa “décision”, le président vise deux dispositions constitutionnelles et une loi organique. Passons sur la loi organique, c’est presque le plus simple. Il s’agit d’une loi qui octroie des compétences exclusives à la Cour constitutionnelle.

Elle ne les confie uniquement qu’à elle. On ne peut pas soulever cette même loi pour appuyer une décision ayantpour objet de les attribuer à une autre institution. Une telle justification est presque tautologique : en même temps qu’on rappelle que les compétences ont été déterminées par le législateur organique, l’on s’y réfère pour justifier qu’elles seront transférées sans son aval. Il est clair qu’un tel fondement n’est pas valable.

Et les deux autres dispositions constitutionnelles visées ne le sont pas davantage. Ni l’article 12 alinéa 1 ni l’article 12-3 ne comportent le moindre début de justification. Au fond, il s’agit d’une lecture tronquée qui est faite du premier et, quant au second, il s’agit d’un mécanisme inapplicable en l’espèce tant pour des raisons de fond que de forme.

Une lecture tronquée de l’article 12 alinéa 1 d’abord qui consiste à rappeler la mission d’arbitre et de modérateur du fonctionnement régulier des institutions confiée au président. L’on conclut qu’à ce titre, il a pu constater le blocage de la Cour et a pris les mesures nécessaires pour que les institutions fonctionnent à nouveau régulièrement. Le transfert des compétences entrerait ainsi dans les obligations de sa mission.

Voilà que l’on rétablit le fonctionnement régulier des institutions en expropriant une institution de ses pouvoirs au profit d’une autre. Aboutissant ainsi à un résultat remarquable : une institution de la Constitution ne fonctionne toujours pas. Etre l’arbitre et le modérateur consiste surtout à s’assurer que toutes les institutions fonctionnent, toutes sans exception

. L’attitude attendue était celle de constater que la Cour est bloquée à cause du non-renouvellement des membres et ensuite procéder au renouvellement de ceux-ci. Ainsi, on aurait réussi l’exploit de faire fonctionner l’institution.

Pour ce qui est de l’article 12-3, les conditions ne sont pas réunies. Il faut rappeler que le dysfonctionnement régulier des institutions n’est qu’une condition nécessaire. Elle n’est pas suffisante. Il faut qu’à ce dysfonctionnement qui doit être généralisé (pas seulement d’une institution de manière isolée), s’ajoute une menace grave et immédiate sur un des enjeux suivants : l’indépendance de la nation, l’intégrité territoriale, l’exécution des conventions et les institutions constitutionnelles.

Or, il est évident que notre indépendance pas plus que notre territoire ne sont en danger impérieux, encore moins l’exécution des conventions. Ne reste que le blocage d’une institution, et d’une seule qui n’est pas constitutive ni d’une menace grave (il suffit de procéder à la nomination des juges manquants) ni immédiate au 12 avril (cela dure depuis juin 2017).

Des conditions de formes n’ont pas été, non plus, observées. Certaines consultations obligatoires n’ont pas été sollicitées : le conseil des ministres n’a pas délibéré et la Cour constitutionnelle, par la force des choses, ne s’est pas prononcée. Enfin, avant de recourir aux pouvoirs exceptionnels de l’article 12-3, le président doit l’annoncer officiellement par un message à la Nation. Aucune adresse ou discours n’a été fait avant le 12 avril pour informer le pays.

Une modification irrégulière de la Constitution

La Cour constitutionnelle et la Cour suprême sont des créations de la Constitution au même titre que le Président. Chacun tire sa légitimité et surtout ses compétences des dispositions constitutionnelles et des lois organiques prévues.

Dès lors, lorsque l’on souhaite apporter une modification dans les compétences, les champs d’action, les compositions ou les procédures des deux juridictions, il faut passer nécessairement par une réforme des lois organiques voire par une révision de la Constitution.

Une opération de transfert implique une altération substantielle des compétences de chacune, la Cour constitutionnelle perd les siennes et la Cour suprême ajoute aux siennes. Il s’agit concrètement d’une modification de la législation organique et de la Constitution. Au fond, par sa décision, le président de l’Union a opéré une révision de la Constitution. Sans rentrer dans la querelle sémantique de savoir si c’est une décision ou un décret, on peut s’accorder qu’il s’agit d’un acte inférieur à la Constitution.

Il ne s’agit donc pas de dire qu’il faut ou non conserver la Cour constitutionnelle, il s’agit d’expliquer qu’il faut passer nécessairement par la procédure prévue par la Constitution elle-même pour réformer ses dispositions. Il faut comprendre que toute mutation de la norme constitutionnelle qui s’opère en violation de la procédure spécialement prévue met fin, de facto, à la Constitution. La Constitution en vigueur actuellement n’est plus celle de 2001, révisée régulièrement en 2009 et 2014. Mais laquelle alors ?

Mohamed Rafsandjani
Doctorant contractuel en droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon.

Alwatwan

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1 commentaire sur Compétences transférées, ordre constitutionnel altéré

  1. La constitution de 2001 a été neutralisée par le président Azali assoumani Mugabe.

    La nomination de ses membres s’effectue avant la fin définitive de leur mandat. Il s’agit de faire en sorte que ceux qui viennent puissent être opérationnels. En effet, il faut éviter un vide juridique en l’absence de ces juges constitutionnels. Il faut dire que le pire n’est pas le transfert de la compétence vers une cour suprême. Le danger est ailleurs. Car, une loi qui ne s’applique est condamnée à disparaitre. D’autant qu’une loi est une interprétation. Si les interprètes ne sont plus, il n’y a pas de loi. Prenez un exemple concret : le peuple par le biais de leurs représentants ont fait une proposition de loi et que celle-ci est adoptée. S’il n’y a pas un juge pour faire vivre ce texte, ce dernier mourra. Puisqu’il n’y a personne non seulement, pour la surveiller mais aussi pour l’appliquer. Sachez qu’un grand maître de conférence et spécialiste du droit disait qu’une loi qui ne s’applique pas est appelée à disparaitre.
    En revanche, nous ne cherchons pas à savoir si l’acte unilatéral du colonel est légal ou pas ? Non loin de là. Tout le monde s’accorde à dire que son décret n’a aucun fondement juridique. Par conséquent, nous voulons savoir exactement où Azali assoumani Mugabe veut nous embarquer ? Car, théoriquement la constitution de 2001 est enterrée provisoirement en attendant une éventuelle cour constitutionnelle.

    Bref, à partir du moment où il n’y a pas de juge pas loi.
    En d’autres termes, la constitution de 2001 n’a pas d’existence tant que la cour constitutionnelle n’est plus. Le despote Azali assoumani Mugabe n’a pas besoin de transférer les compétences de la cour constitutionnelle vers la cour suprême. Car, il l’a déjà neutralisée.

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