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Gaza : "Le gouvernement israélien va être mis à l’épreuve si l’offensive dure"

Affrontements entre Palestiniens et forces israéliennes vendredi 16 novembre.

L’armée israélienne a intensifié vendredi 16 novembre ses préparatifs pour une éventuelle opération terrestre dans la bande de Gaza après trois jours de frappes aériennes sur le territoire palestinien contrôlé par le Hamas, qui n’ont pas mis un terme aux tirs de roquettes.

Pour Gilles Paris, chef du service « International » au Monde et spécialiste du conflit israélo-palestinien, l’opération militaire « Pilier de défense » est « à double-tranchant » et risque « de ressouder un camp arabe divisé ». Par ailleurs, « elle détourne de la Syrie, alors que le gouvernement israélien a un intérêt stratégique bien supérieur aux enjeux de Gaza à voir chuter sous l’effet d’une pression, notamment arabe, le principal régime de la région allié à l’Iran« .

Vincent BN : Quelle est l’explication des autorités israéliennes pour expliquer l’opération en cours ?

Gilles Paris : Le gouvernement israélien met en avant l’augmentation du nombre de tirs palestiniens sur Israël, tirs qui avaient nettement décru en 2010 et en 2011. Cette augmentation peut être liée aux nouvelles armes dont disposent maintenant les groupes armés palestiniens qui profitent de filières installées dans le Sinaï égyptien, devenu une zone de non-droit. Elle peut aussi découler d’une surenchère entre groupes armés, des groupuscules salafistes ayant notamment émergé au cours des dernières années qui reprochent souvent au Hamas de se comporter comme un auxiliaire des autorités israéliennes afin de conserver le contrôle de Gaza.

Vincent BN : Peut-on penser que l’intensification des opérations militaires israéliennes est liée à la période électorale ? A-t-on déjà vu des cas similaires dans le passé ?

Il y a des précédents. En 1996 et en 2009, quelques semaines avant les élections législatives, des opérations massives ont été lancées par des gouvernements sortants israéliens qui, d’ailleurs, n’en ont tiré aucun bénéfice. La thèse du calcul électoral qui expliquerait l’opération en cours est niée avec énergie par les autorités israéliennes. Il n’en reste pas moins que la coïncidence est troublante.

Une opération de ce type est toujours à double tranchant. Elle témoigne de l’intérêt des autorités vis-à-vis des populations du sud d’Israël qui ont souffert d’une recrudescence des tirs palestiniens. Mais, en même temps, elle expose le pouvoir en place aux critiques si, malgré sa campagne militaire, les tirs ne cessent pas.

Dans un premier temps, le gouvernement peut profiter d’un réflexe d’union nationale, patriotique. Il est cependant mis à l’épreuve si les choses traînent en longueur.

Pierre-Yves : Faut-il voir un lien entre cette violence et la prochaine présentation par la Palestine d’une résolution visant à obtenir un statut aux Nations unies ? Un ultime avertissement d’Israël à Mahmoud Abbas pour le dissuader de « commettre l’irréparable » ?

J’y vois une concomitance et non un lien ; un nouveau pic dans les relations entre le Hamas et Israël, l’Autorité palestinienne en étant une victime colatérale. Fragilisée par une crise sociale en Cisjordanie, elle ne peut qu’être affaiblie tout comme sa démarche à l’ONU par une crise qui met son rival du Hamas au centre du jeu et de l’attention. On le voit notamment avec les visites de responsables égyptiens et tunisiens à Gaza, aujourd’hui et demain.

Ruudboy : Pensez-vous qu’Israël risque cette fois-ci de perdre la bataille des images, puisque les usages des réseaux sociaux sont beaucoup plus affirmés qu’en 2009 ?

Pour l’instant, et contrairement au début de la dernière offensive en date contre Gaza en décembre 2008, l’armée israélienne a procédé à des frappes plutôt ciblées. Que ce soit sur le chef de l’aile militaire du Hamas, Ahmad Jabari, ou sur les endroits susceptibles de servir de cache pour les roquettes et missiles utilisés par les Palestiniens.

Le nombre de victimes palestiniennes est bien moindre que pendant les premiers jours de l’opération « Plomb durci », mais les choses changeraient immanquablement en cas d’incursion terrestre, compte tenu du fait que combattants et civils sont concentrés dans des zones urbaines particulièrement denses.

Inthemood : Pourquoi le Hamas déploie-t-il de tels moyens, jusqu’à viser Tel Aviv et Jérusalem ?

On ne peut avancer que des hypothèses pour l’instant. Le Hamas peut se sentir obligé de réagir de cette manière parce qu’il a perdu une figure centrale de son dispositif militaire et qu’il risque de perdre la face vis-à-vis de groupes armés moins puissants et actifs. On peut s’interroger aussi sur le fait de savoir si l’aide militaire agit avec ou sans le soutien de l’échelon politique, plus soucieux de son statut de gouvernement de fait, de ce quasi-Etat que devient Gaza. Pour l’instant, les déclarations des responsables du Hamas ne permettent pas de trancher d’une manière catégorique.

Ruudboy : Peut-on dire que la fuite en avant du gouvernement israélien par rapport à la question palestinienne risque de mettre en péril la possibilité d’établissement d’un Etat palestinien ?

Il s’agit moins d’une fuite en avant que du retour du problème de Gaza auquel Israël, depuis sa création en 1948, n’a jamais été en mesure d’apporter une réponse, qu’elle soit militaire dès les années 1950, que ce soit l’occupation de 1967 à 2005 ou le blocus décrété après la prise de contrôle du Hamas en juin 2007.

Cette escalade intervient alors qu’il n’existe plus de processus de négociations entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien. Les menaces qui pèsent sur la solution des deux Etats découlent plus de cette incapacité à négocier que de l’offensive sur Gaza, Israël n’ayant aucunement l’intention d’en reprendre durablement le contrôle. 

Walid : La solution de deux Etats est-elle encore sérieusement envisageable compte tenu de la colonisation accrue de la Cisjordanie ?

C’est l’angle mort de la question palestinienne que masque temporairement l’escalade de Gaza. La colonisation que l’administration américaine a échoué à contenir en 2010 sape les principes de la solution des deux Etats. C’est potentiellement dévastateur pour les Palestiniens comme pour Israël, ce compromis restant, en dépit des sacrifices douloureux qu’il impose des deux côtés, la moins pire des solutions.

Lionel LYON : En quoi la visite du premier ministre égyptien à Gaza pourrait-elle changer la donne actuelle notamment au regard des accords de Camp David et de leur pérennité ?

La visite du premier ministre Hicham Kandil se veut avant tout symbolique pour mieux se démarquer de l’attitude d’Hosni Moubarak pendant l’opération « Plomb durci ».

En dépit de la proximité entre le Hamas et les Frères musulmans égyptiens, ces derniers n’ont cependant guère de marge de manœuvre. Le coût politique, diplomatique et économique d’une remise en cause des accords des plans David serait exorbitant. Ils doivent donc ménager leurs intérêts à Gaza, sans rompre avec Israël : ils sont les premiers avocats de la trêve.

Camille : L’Egypte est-elle donc condamnée à observer la situation en la condamnant ou existe-t-il un risque de débordement du conflit ?

L’Egypte peut avoir un rôle de médiateur plus efficace qu’en 2008-2009 à un moment où le régime égyptien était à couteaux tirés avec le courant des Frères musulmans. Elle peut aussi témoigner matériellement d’un point de vue humanitaire sa solidarité avec les Palestiniens. Tout porte à croire que les pays arabes divisés sur la question syrienne trouveront avec le conflit de Gaza une excellente opportunité pour gommer ces différences, d’autant que les élections survenues en Tunisie, en Egypte ou le changement de régime libyen jouent incontestablement au profit du Hamas palestinien.

C’est d’ailleurs un paradoxe de l’offensive israélienne. Elle risque de ressouder un camp arabe divisé et elle détourne de la Syrie, alors que le gouvernement israélien a un intérêt stratégique bien supérieur aux enjeux de Gaza à voir chuter sous l’effet d’une pression, notamment arabe (Qatar, Arabie saoudite) le principal régime de la région allié à l’Iran.

Lionel LYON : Qu’en est-il du positionnement de la Ligue arabe dans cette recrudescence de la confrontation directe ? S’est-elle saisie de cet évènement ? Quel rôle peut-elle jouer très directement ?

La Ligue arabe va sans doute faire la preuve à merveille de sa capacité d’indignation. Au-delà, ce dossier, par ce qu’il concerne Gaza, reste du ressort égyptien, quelles que soient les ambitions du Qatar, comme l’a montré la récente visite de l’émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani.

Mathilde : Y a-t-il un risque que le Hezbollah libanais réagisse aux attaques israéliennes sur Gaza en envoyant de nouvelles roquettes au nord d’Israël ?

Le Hezbollah aurait tout avantage à tenter de faire oublier la passe délicate dans laquelle le conduit son soutien aveugle au régime de Bachar Al-Assad en rouvrant le front sud, comme il l’avait fait sans doute inintentionnellement en juillet 2006 après une opération israélienne sur Gaza. Il est douteux cependant qu’Hassan Nasrallah redevienne, du fait de la Syrie, le héros arabe qu’avait fait de lui la guerre de l’été 2006.

mb : Est-ce que les frappes d’Israël dans la bande de Gaza peuvent être interprétées comme une anticipation de frappes sur l’Iran ? Le rappel des réservistes, l’opinion publique préparée depuis cet été, l’affaiblissement du Hamas : ceci peut-il être la première phase d’un conflit plus large ?

Le type d’opération sur l’Iran qui pourrait être décidé par le gouvernement israélien n’a strictement rien à voir avec ce qui est en cours à Gaza. Dans le premier cas, il ne pourrait être question que de bombardements aériens, de raids, alors qu’à Gaza l’armée israélienne a pratiquement les coudées franches pour des opérations de courte et de moyenne durée. Le lien entre ces deux fronts, potentiel et réel, est donc loin d’être manifeste.

FRED : L’offensive actuelle peut-elle s’embraser et enflammer tout le Proche-Orient ?

Les dernières opérations israéliennes contre Gaza – et il y en a eu de nombreuses au cours de la décennie écoulée – montrent plutôt le contraire. L’indignation sera générale. Elle pourra être instrumentalisée ici ou là pour détourner l’attention de problèmes domestiques, mais guère plus.

Brahms : Bachar Al-Assad ne pourrait-il pas être tenté de provoquer Israël afin d’apparaître comme le défenseur des Palestiniens et de retrouver de la crédibilité auprès de son peuple ?

Il a fallu attendre l’enracinement de la contestation syrienne pour voir le régime de Damas jouer la carte anti-israélienne, alors que la frontière entre les deux pays a été la plus calme de la région depuis la fin des hostilités en 1973. Le régime syrien, autrefois figure de proue du « front du refus » contre Israël, n’a plus aucun crédit sur le sujet, chacun voyant qu’il ne se concentre plus que sur sa survie.

Marion : Selon vous, la communauté internationale se doit-elle de prendre une position, d’intervenir pour interrompre les violences entre les deux camps ?

La « communauté internationale », si l’on considère qu’elle peut être résumée par le Conseil de sécurité des Nations unies, a été incapable d’adopter une position mercredi à New York. Dans cette affaire, le soutien sans réserve apporté par les Etats-Unis à Israël ne permet guère de mission de bons offices ou de médiation qui aurait un quelconque poids. Il est fort probable qu’on s’en tienne, ici et là, aux appels « à la retenue » et « à la désescalade » habituels et sans aucune portée sur le cours des événements.

Polentzi : Alors que Tel Aviv et Jérusalem sont en état d’alerte, de quel arsenal dispose réellement le Hamas. Et d’où vient-il ?

Matthieu : Selon plusieurs sources, les missiles tirés depuis Gaza et qui ont atteint Tel-Aviv sont de fabrication iranienne. Comment ces missiles ont pénétré dans Gaza ? Par l’Egypte via le Sinaï ?

Les dernières années ont montré qu’en dépit de tous les efforts israéliens et égyptiens les armes pouvaient parvenir aux groupes armés de Gaza grâce à la « zone grise » et le Sinaï. Mais il est incontestable que la désorganisation égyptienne entraînée par le changement de régime a permis de franchir un nouveau pas. Par le passé encore, l’armée israélienne a mené des raids contre des convois d’armes au Soudan, où des bombardements non revendiqués ont été signalés.

Des filières existent donc. Et des roquettes et des missiles dont la portée est supérieure à ceux utilisés précédemment tombent aujourd’hui sur Israël. Si ces missiles longue portée continuent d’être tirés, ce sera le signe que le Hamas joue la carte de l’escalade sans que l’on puisse en définir, pour l’instant, l’objectif. Il prendrait alors un risque sérieux.

JulienG : L’utilisation d’armes proscrites par les différentes conventions sera-t-elle à l’ordre du jour ou les interventions seront-elles restreintes à des troupes au sol ?

Dans les phases d’affrontements entre Palestiniens et Israéliens, l’armement utilisé a généralement été conventionnel, à l’exception des attentats-suicides. C’est d’ailleurs le fait que les civils israéliens comme palestiniens soient les victimes principales qui constitue le plus grand problème. D’un côté comme de l’autre des crimes de guerre peuvent être alors signalés.

JulienG : Même en ce qui concerne l’utilisation du phosphore blanc, arme chimique déjà utilisée pendant l’opération « Plomb durci » et réprouvé par une convention de l’ONU en 1983 ? La communauté internationale avait déjà interpellé Israël sur cette utilisation.

C’est exact, mais l’essentiel des pertes constatées à Gaza à cette occasion a été le produit d’armes conventionnelles. L’exiguïté de Gaza et la tactique des groupes armés de se fondre dans la population multipliant les risques de pertes colatérales.

Daniel : Quels sont les risques d’importation du conflit en France au vu des actes ayant pris pour cible la communauté juive depuis l’opération « Plomb durci » ? 

On peut prévoir, malheureusement, que le regain de violence au Proche-Orient s’accompagnera de tensions en France, l’importation de ce conflit ayant été maintes fois démontré par le passé.

Faysal : Quelle pourraient-être les conséquences à long terme de la position constamment fuyante de François Hollande qui, semble-t-il, cherche à tout prix à ne pas se mouiller en exprimant des avis dont l’objectif évident est de ne froisser personne ?

La position française sur le conflit israélo-palestinien n’a guère changé malgré les présidents successifs et des personnalités pourtant très différentes les unes des autres. La France a toujours plaidé pour la création d’un Etat palestinien et pour la sécurité d’Israël. On ne peut cependant que constater que le président Hollande est beaucoup plus timoré que le député Hollande qui, en septembre 2011, cosignait une proposition de résolution déposée à l’Assemblée nationale pour la reconnaissance de la Palestine par les Nations unies.

Zamzam : Ce matin François Hollande mentionnait qu’il ne discute pas avec ceux qu’il ne reconnaît pas (comprendre ici le Hamas). Pourtant qu’on soit ou pas d’accord avec le Hamas, on ne peut contester que celui-ci a été élu démocratiquement. Pourquoi alors François Hollande s’obstine-t-il à refuser de discuter avec le Hamas, qui est concerné au premier chef ?

C’est un paradoxe, la France qui parle désormais ouvertement avec les partis islamistes au pouvoir en Tunisie, en Egypte ou en Libye, continue de boycotter le Hamas en vertu de la position adoptée par les Européens et les parrains occidentaux du « processus de paix » israélo-palestinien après la victoire du Hamas aux élections de janvier 2006.

Cette attitude intransigeante a-t-elle produit des résultats spectaculaires ? Il est permis d’en douter. En privé, en janvier 2008, lorsqu’il était président, Nicolas Sarkozy envisageait d’ouvrir des canaux de discussions avec le Hamas dès lors qu’un accord interpalestinien solide serait intervenu. C’est sans doute parce qu’il mesurait les limites de cette attitude.

Chat modéré par Audrey Garric

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