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Hommage à ABDOU BAKARI BOINA

Mon Papa,

Cela fait 2 ans que tu es parti. Il me faudra beaucoup de temps, toute une vie, pour réaliser que tu n’es plus là. Depuis ton départ, ma vie a changé. Je me sens isolée et fragile. Ton absence m’a plongé dans une tristesse inconsolable, un chagrin infini.
Je n’arrive pas à oublier les images de ce triste mercredi noir, lorsque j’ai appris la terrible nouvelle de ta disparition.
Je sais que la vie n’est pas éternelle et que la mort est naturelle. Mais tu es parti très vite, trop tôt papa. J’aurai aimé te voir encore à mes côtés, partager avec toi, mes joies, mes doutes et mes errances.
J’aurai aimé me blottir dans tes bras, te présenter mon petit-fils et te confier mes dernières confidences avant de t’en aller.
Je suis fière de porter ton nom, fière de tout ce que tu m’as donné et qui m’a permis d’être ce que je suis.
Ton soutien constant et affectif, m’a permis de franchir tant d’obstacles. Tu m’as transmis l’amour de la patrie, le goût de la modestie et la force de tenir bon dans les moments difficiles.

Mon papa, au moment où j’écris ces quelques lignes, les nouvelles ne sont pas bonnes car ton pays va mal. Le mercenariat est de retour, mais sous d’autres formes. Il est insaisissable et plus redoutable qu’avant.
La dictature s’est installée, la plupart des opposants politiques sont en exil ou en prison. La situation est invivable et me rappelle les douloureux souvenirs qui ont marqué ma vie.
Je pense à tes 15 ans d’exil forcé en Tanzanie pour avoir condamné le colonialisme et réclamer le droit au peuple comorien à être indépendant.
Avec ton mouvement pour la libération des Comores (MOLINACO), tu as sillonné le monde pour plaider la cause d’un peuple opprimé. Ce noble combat a contribué à libérer ton pays du joug colonial.
En défendant l’honneur et la dignité de ton peuple, tu as accompli ton devoir envers la nation. Un jour viendra où tes sacrifices seront reconnus
En ce jour souvenir, je voudrais rendre hommage à tes camarades de lutte, remercier Ali Toihir Kéké (Mitsamiouli), Ali Mohamed Hassane (Ouellah),Salim Youssouf (Selea) et Kamal Said Ali (Anjouan) pour nous avoir permis d’avoir de tes nouvelles pendant cette interminable absence.
Je pense à tes années de prison et aux humiliations dont tu faisais constamment l’objet, pour avoir refusé la soumission, l’aliénation et la domination.
Je pense surtout à l’indignité de l’Etat comorien pour t’avoir ignoré de ton vivant et t’oublié après ta mort. Tu n’as eu droit au moindre insigne d’honneur, ni même un simple merci pour service rendu.
Mais rassure toi papa, car dans ta chère patrie, tu n’es ni le premier, ni le dernier à subir cette ingratitude.
Depuis que tu es parti, l’opportunisme gagne du terrain, des nouveaux ayat allah ont envahi le pays, l’individualisme prospère et la fuite des cerveaux s’accentue.
Les valeurs d’intégrité, d’honnêteté et de patriotisme dont tu étais jalousement attaché, n’ont plus cours.
Mais, je reste optimiste comme tu l’as toujours été, car la jeunesse commence à se réveiller et la diaspora continue à se battre pour l’instauration d’un Etat de droit.
Les femmes sont de plus en plus actives et veulent un Etat juste, égalitaire et respectueux des valeurs humaines.
L’indépendance authentique que tu as tant rêvée pour ton pays, verra peut-être le jour, dans un lointain avenir.

Repose-toi en paix
Ta fille
Sitti ABDOU BACAR BOINA

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1 commentaire sur Hommage à ABDOU BAKARI BOINA

  1. Émouvant hommage. Et surtout une très belle plume qui ne laisse indifférent. Certes votre papa n’a pas été distingué par les autorités mais aux yeux de la plupart des Comoriens, son combat pour des Comores libres et unis, est gravé à jamais dans notre conscient collectif. Rassurez vous, nous lui contactons une véritable dette de reconnaissance pour ses leçons et marques de patriotisme.
    Je suis heureux que ce grand homme ait échappé à être décoré par les régimes passés et plus encore avec l’actuel, tous aux antipodes de ses valeurs patriotiques et humanistes. Je crois même qu’il aurait été gêné et même souillé de recevoir de ces gouvernants corrompus une quelconque distinction venant de personnes humiliant et ruinant leurs propres compatriotes.
    Le moment venu, votre père sera distingué et élevé au rang de grand patriote par un gouvernement composé d’honnêtes gens, valeureux et compétents.
    Je ne désespère pas de ce pays car il regorge encore de quelques hommes épris de patriotisme capables de nous tirer vers le haut. Nous aurons aussi un jour notre Mandela, notre De Gaull malgré les doutes qui envahissent notre peuple.

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