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Islam et élections présidentielles aux Comores

Mosquée du vendredi

Mosquée du vendredi

En février 2016 se tiennent les élections présidentielles aux Comores. Derrière l’événement se profile l’ombre de l’Arabie saoudite. L’histoire politique de l’islam aux Comores permet d’éclairer cette croisée des chemins.

Deux versions coexistent à l’introduction de l’islam aux Comores. La première appartient au répertoire mythologique et a été largement diffusée sous la plume de Saïd Hussein, petit-fils d’un sultan de Grande Comore, dans un manuscrit daté du début du XXe siècle : « La religion du prophète Muhammad […] fut introduite ici à Ngazidja [Grande Comore] en l’an 15 de l’Hégire [637 de l’ère chrétienne]. Et ceux qui ont introduit l’islam à Bgazidja, ce sont deux hommes ; l’un Fey Bedja Mwamba et l’autre Mtswa Mwandze. » Ce mythe est important car il est, dans les esprits des Comoriens, le creuset de l’ancienneté du lien identitaire entre l’islam et l’archipel. En suivant cette version, les Comores auraient ainsi été un des premiers territoires de l’extension de l’islam au lendemain de la mort du Prophète au VIIe siècle.

La seconde version s’adosse sur la réalité historique mise au jour par la recherche scientifique, n’en déplaise au « roman national musulman ». Elle est sensiblement différente. Les travaux historiques (notamment de Claude Robineau et Ahmed Chanfi) ont, depuis les années 1960, exhumé les origines de l’islam aux Comores. Les vestiges momumentaux et archéologiques, d’une part, et les traditions orales (« gabila ») conservées dans les grandes familles d’Anjouan (notamment par Saïd Ahmed, ancien caïd d’Anjouan, et Saïd Ali Amir, vénérable notable d’Anjouan), ont servi de base pour la période pré-coloniale.

Dès le VIIIe siècle sont attestées des migrations en provenance de Madagascar. C’est autour du IXe siècle que sont identifiées les vagues migratoires musulmanes. Elle viennent du Golfe persique ne sont pas unanimement arabes – mettant ainsi à mal les mythes d’une ligne directe avec le Prophète et son entourage. Deux grands vagues musulmanes ont ainsi été authentifiées : les Chiraziens (de Perse) et les Arabes. Encore conviendrait-il de distinguer plus avant ces populations dont les origines s’avèrent moins évidents qu’il n’y paraît… Ne fut-ce, en premier lieu, que parce qu’elle transitent traditionnellement par un passage sur la côte orientale de l’Afrique et ses cités-États. Il convient de rappeler que l’Océan indien est un carrefour migratoire majeur des XVe-XIXe siècles, bien avant le Canal de Suez. De sorte que, dans cette généalogie démographique, le terme « Arabes » pour désigner les vagues migratoires musulmans s’avère largement impropre. Les cités-États de l’archipel constituent le coeur battant de l’islamisation et des pouvoirs politico-religieux des quatre îles des « sultans batailleurs ». Ces cités-État ont pu être particulièrement observées à Anjouan et Grande Comore.

À la veille de la colonisation, l’islam traditionnel de l’archipel s’avère bien différent de celui qui émerge dans le Golfe Arabique au XIXe siècle autour de la tribu d’Ibn Saud et qui prend le nom de wahhabisme. L’islam comorien est marqué par la structure confrérique et le poids du religieux dans la société. Suivons par exemple l’histoire d’Anjouan : le royaume est fondée par Hassan au XVe siècle se perpétue jusqu’en 1912 (date de son abolition par la colonisation française) ; il est dirigé par un sultan (« falume »), chef politique et religieux. Si le premier volet de son pouvoir (politique) est affirmé militairement (« sultans batailleurs »), le second volet n’est pas exclusif. Certains imams (directeurs de prière) disposent d’une autorité religieuse comparable à celle du sultan, à l’image de l’imam de la Mosquée du Vendredi à Mutsamudu. Surtout, les cheiks, guides spirituels des confréries, disposent d’une autorité parfois supérieure à celle du sultan – et bien souvent proportionnée à l’influence de sa confrérie dans le monde musulman. Viennent enfin les fundis, maîtres coraniques, et les ulémas, docteurs de la loi musulmane dont l’importance croît au XXe siècle. Sociologiquement, dans la société pré-coloniale comorienne, l’essentiel de ces fonctions religieuses sont fréquemment tenues par des nobles, tissant un lien supplémentaire (sociologique cette fois) entre islam et politique.

Les sultans

En conséquence, l’islam a joué un double rôle aux Comores : il fonctionne comme un régulateur social quotidien, mais aussi comme un paramètre politique fondamental. Par la bouche des cheikhs, des imams ou des ulémas, l’islam est utilisé soit pour légitimer soit pour contester le pouvoir politique du sultan, de l’autorité coloniale ou du président. Cette déclinaison trouve un écho tout particulier à partir du XIXe siècle face à l’appareil de l’État colonial. Le poids et la sociologie des responsables religieux ont ainsi posé quelques grandes personnalités ou grandes familles nobles dans la dialectique politique / islam. La place socio-politique de l’islam s’en trouve renforcée à la veille de l’indépendance. Les régimes successifs d’Ali Soilih (1975-1978) et d’Ahmed Abdallah (1978-1989) ont ainsi dû composer avec cette donne. Ali Soilih, qui s’inspire des régimes révolutionnaires (du kémalisme aux socialismes arabes) a remplacé le Grand Cadi par un comité islamique. Ahmed Abdallah a liquider ce comité islamique et créé la fonction de Grand Mufti, bâtie sur les cendres du grand Cadi.

Mais en sous-main, commençait déjà à se jouer une mutation sociale en profondeur. Les deux principales influences religieuses qui s’exercent sur les Comores depuis les années 1970 proviennent du Caire (université d’Al Azhar) et de La Mecque (université d’Oumm al-Qura). La diplomatie comorienne en porte les marques à ses origines. Ce phénomène a eu pour conséquence une vague « d’arabisation » et de « ré-islamisation » populaire dès les années 1970. Mais à la faveur de la crise pétrolière de 1973 et 1979, l’Arabie saoudite a supplanté l’influence égyptienne – grâce notamment à l’arme financière. En témoignent les jeunes ulémas revenus d’Oumm al-Qura de La Mecque et qui sont surnommés les « wahhabites ». Dans les franges populaires, face à cet islam de contestation et de radicalisation, le régime d’Abdallah échoue dans la surenchère islamique de légitimation du pouvoir. De sorte que l’influence des « wahhabites » s’en trouve renforcée à sa chute. Ce double processus de « ré-islamisation » et « d’arabisation », peu pris en compte politique dans les années 1990, se traduit par l’adhésion des Comores à la Ligue des États arabes en 1993.

Dès les années 1990, l’influence saoudienne, de plus en plus grande, se fait sonnante et trébuchante dans la vie politique comorienne. Avec une grave conséquence : la classe politique s’est habitué à la manne financière saoudienne… au point d’en être devenu un des métronomes électoraux qui s’est accru dans les décennies 2000-2010. À la veille de l’élection présidentielle de février 2016, les craintes sur l’état de l’archipel se multiplient dans un contexte social tendu : « Le pays a faim », peut-on l’entendre dans plusieurs cercles comoriens… La multiplication des candidatures doublée de jeu de chaises musicales n’est que le marqueur le plus visible de cette grave crise politique au bord de l’explosion.

En d’autres termes, la classe politique est gravement déconsidérée par les citoyens depuis de longues années : quelques personnalités de l’élection présidentielle sont même désignées parmi la population comme les hommes de La Mecque… avec d’autant plus de discrédit que la logique du don / contre-don saoudien ne fait plus aucun doute au vu du développement du wahhabisme sur l’île. Or, à travers le facteur religieux, c’est bien l’identité comorienne qui est en jeu. Car les ressorts financiers saoudiens, désormais notoires au sein de l’opinion comorienne à travers la multiplication des mosquées wahhabites dans l’archipel, apparaissent comme une stratégie d’écrasement de l’identité comorienne.

À la veille des élections présidentielles comoriennes, c ’est inscrite dans cette perspective que peut être éclairée l’actuelle offensive saoudienne aux Comores, qui s’avère un maillon essentiel dans son dispositif diplomatico-religieux de l’Océan indien et de l’Afrique orientale.

 

 

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