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Kwassa-interpellation-rétention-expulsion : les conditions du quotidien

​Tous les ans, les associations Solidarité Mayotte, Cimade, France Terre d’asile, ASSFAM, Forum réfugiés-Cosi, Ordre de Malte, publient un rapport sur la rétention administrative. Et comme tous les ans, celui de 2016 est catastrophique en terme de droit pour Mayotte. Comment pourrait-il en être autrement sur un territoire au flux migratoire massif ? Justement, c’est à ce défi que tentent littéralement de répondre Solidarité Mayotte et la Cimade au cours d’une conférence de presse.

Prenant la suite de la Cimade, c’est Solidarité Mayotte qui intervient depuis le 16 novembre 2015 au Centre de Rétention Administrative (CRA) de l’île. Si vous arrivez de métropole, peu de chance que vous ayez entendu parler de cet acronyme que tout étranger en situation irrégulière connaît ici. C’est par ce Centre qu’il passera avant d’être expulsé en cas d’interpellation.
Sauf qu’à Mayotte, qui totalise la moitié des expulsions de métropole, plus de 23.000 pour 46.000, le CRA n’est pas régi par les mêmes dispositions que ceux de l’Hexagone et des Outremer, et ce, malgré la nouvelle loi sur l’immigration du 7 mars 2016. Même s’il a été refait à neuf après avoir été baptisé « verrue de la République », il n’y a pas d’obligation légale d’une salle de visite pour les familles, il n’y a pas de jours francs avant éloignement, le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) peut être saisi au bout de 5 jours, contre 48h en métropole, et alors que la durée moyenne de rétention est de 17h contre 7 jours en métropole.
Les rares fois où les personnes ont pu déposer un recours, « 95% d’entre elles ne sont assistées d’aucun avocat devant le JLD, bien que commis d’office », déplore Méline Moroni, un nom prédestiné !, coordinatrice chez Solidarité Mayotte.
Des enfants seuls en kwassas

En ce qui concerne les droits en rétention, si les conditions matérielles sont « standards par rapport à la métropole », à l’intérieur, il n’y a pas d’accès à un téléphone pour prévenir famille ou amis de l’expulsion. Ce qui peut poser problème en cas d’enfants demeurés sur le territoire.
D’autre part, en raison de la rapidité de la mesure d’éloignement, ils n’ont pas accès aux associations ou à l’infirmerie. Précisons qu’ils sont censés être vus après leur interpellation en mer, par un infirmier. La procédure de demande d’asile au sein du CRA n’a été mise en place que très récemment.
Quand sur l’ensemble de la France Hexagonale, le CRA a vu passer 4.507 mineurs, ils sont 4.325 pour le petit territoire Mahorais, « essentiellement interpellés en kwassas, où ils sont accompagnés par un membre de leur fratrie ou laissés simplement au soin des passeurs. Ils voyagent souvent sans représentant légaux, ce qui rend illégal leur placement au CRA. Pour la reconduite, ils sont rattachés arbitrairement par la préfecture à un adulte, pratique condamnée à de multiples reprises par la Cour européenne des Droits de l’Homme », souligne Méline Moroni.

Aucun accompagnement pour les 30% candidats au retour
Un casse-tête sans nom, y compris pour la préfecture. Car que faire d’un enfant que ses parents ont envoyé braver seul les risques de la traversée Anjouan-Mayotte, si ce n’est le renvoyer auprès d’eux. Mais la logique n’est pas celle de la loi.
Pour Romain Reille, Directeur de Solidarité Mayotte, il existe au moins deux solutions : « Booster les services de l’Aide à l’Enfance qui sont censés prendre en charge ces mineurs. Actuellement 300 à 400 sont accompagnés par eux. Il faut également que l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration se dote de sa compétence d’accompagnement de retours volontaires. Car, chaque jour, 5 à 10 personnes se présentent au CRA pour être reconduits aux Comores. »
L’OFII devra évidemment s’assurer qu’elle ne se mue pas en agence de voyage au retour, « certains reviennent ensuite », mais le chiffre de 30% de souhaits de départs volontaires, « voire plus pendant les ‘décasages’ », fait réfléchir. Sur les 3 premiers mois de l’année 2017, 50% des personnes qui ont été vues, ont été éloignées deux fois.

Bloquée pendant 3 ans
Pour y parer, la loi du 7 mars 2016 a mis en place l’Interdiction de Retour sur le Territoire Français, « pour une durée variable, mais appliquée systématiquement à son maximum de 3 ans par la préfecture. Elle est délivrée automatiquement à toutes les personnes placées au CRA, ce qui l’empêche, lors d’un retour, de pouvoir demander une carte de séjour », informe Méline Moroni. La crainte d’Albert Nyanguilé, Délégué national de la Cimade pour le secteur Océan Indien, est « qu’ils reviennent en étant maintenus dans une clandestinité forcée. »

Une 3ème piste, celle qui a les faveur de Cimade et de Solidarité Mayotte réunis, c’est « l’aménagement du visa Balladur en créant un cadre législatif propre pour ceux qui font seulement des allers-retours ». Ils estiment aussi que l’autorisation de se rendre sur l’ensemble du territoire français aux détenteurs de cartes de séjour faciliterait les choses. Enfin, « la coopération régionale avec un développement économique réducteur de fossé entre les îles. «
Anne Perzo-Lafond

Le Journal de Mayotte

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