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La libération de Ren Jianyu nourrit les appels à l’abolition des camps de rééducation chinois

Ren Jianyu dans une salle de restaurant de Chongqing, le 19 novembre.

Vêtu d’un blouson de cuir qui flotte sur son corps amaigri – il a perdu 15 kilos – la tête rasée, les traits tirés, Ren Jianyu, 25 ans, est sans doute le seul rescapé des laojiao, les camps de rééducation chinois, à avoir jamais bénéficié d’une telle attention dans les médias de son pays et sur les grands sites d’information.

Libéré lundi 19 novembre après 15 mois de rééducation – en grande partie des travaux forcés -, le jeune homme avait été arrêté en août 2011 pour avoir retransmis sur les réseaux sociaux des critiques et des railleries composées par d’autres internautes sur les campagnes néo-maoïstes de Bo Xilai, l’ancien chef du parti de Chongqing, limogé au printemps, notamment pour avoir essayé de protéger sa femme, accusée du meurtre d’un ressortissant anglais.

A l’époque, Ren Jianyu travaillait dans l’administration d’un comté reculé de cette municipalité géante du centre de la Chine. Il fut condamné à deux ans, sans procès. L’envoi en laojiao dépend en effet d’un processus administratif expéditif, largement verrouillé par la police. Il concerne les petits délinquants, mais aussi tous ceux que le pouvoir veut faire taire et mater : des dissidents comme le Prix Nobel Liu Xiaobo, qui y a passé trois ans dans les années 1990, des membres du Falun Gong, ou des plaignants de tout acabit.

Tout s’est accéléré mardi 20 novembre, au lendemain de la libération de M. Ren. La Cour intermédiaire de Chongqing a débouté la plainte déposée en août par le père du jeune homme afin d’invalider la décision de le placer en détention. Parmi la poignée d’internautes condamnés à la rééducation à Chongqing depuis 2009 pour avoir attaqué les méthodes de Bo Xilai, Ren Jianyu était l’un des seuls à n’avoir pas terminé de purger sa peine. Au moins cinq d’entre eux ont vu la justice les réhabiliter en jugeant illégal leur placement en camp.

L’ABOLITION DES CAMPS SOUTENUE PAR DES MÉDIAS OFFICIELS

Le cas Ren Jianyu a donc ces derniers mois bénéficié d’une importante vague de soutiens sur les réseaux sociaux, grâce notamment aux efforts de son avocat, Pu Zhiqiang, l’un des plus expérimentés dans les affaires dites sensibles – il fut le conseil d’Ai Weiwei.

Contre toute attente, le revers subi mardi par le jeune homme et son défenseur, malgré la bonne surprise de sa libération anticipée, ont donné une toute nouvelle dimension à son cas – et une formidable résonnance à la campagne au long cours pour l’abolition des camps de rééducation. Mercredi, le Quotidien du peuple mettait ouvertement en cause la légitimité constitutionnelle du laojiao. Sur le site de Clarté, le quotidien du parti, on lisait le même jour en gros titre « qu’il ne faut plus traîner pour abolir le système de rééducation par le travail ».

« JE N’AI PAS PERDU ESPOIR EN LA LIBERTÉ ET LA JUSTICE »

Le site Tencent, l’une des plateformes en ligne les plus fréquentées de Chine, a consacré son « sujet du jour » à l’affaire Ren Jianyu, publiant un très long exposé intitulé « Abolissons les camps car la Chine ne les supporte plus ! » Le site y passe en revue les débats sur le caractère extralégal du système du laojiao et les dérives auxquelles il donne lieu – l’administration des camps est au cœur de toute une économie parallèle et de trafics très lucratifs. Il a également organisé un sondage : 88 % des personnes interrogées sur un éventuel « risque que la suppression du laojiao déstabilise la société » estiment que c’est l’inverse qui est vrai. La société sera « plus stable », ont ainsi répondu près de 25 000 participants.

Capture d'écran du site Tencent avec la photo de Ren Jianyu après sa libération.

 Au moins deux grands portails chinois, Sina et un forum du site du Quotidien du peuple, ont invité Ren Jianyu à participer mercredi et jeudi, aux côtés de spécialistes du droit, à des discussions avec des internautes. Le jeune homme y raconte les conditions dans lesquelles il a été emprisonné, les longues journées de travail et son désir que justice soit faite : « Tous les jours, je me demandais pourquoi je devais être rééduqué, alors que je ne suis qu’un internaute ordinaire. Beaucoup d’autres Chinois ont mis en ligne bien plus de messages que moi. Que faire ? Je n’ai pas perdu espoir en la liberté et la justice. Il faut s’y intéresser et faire avancer les choses ensemble », raconte-t-il sur le forum de people.com.cn. A ses côtés, l’avocat et le juriste qui participent aux discussions en appellent tous deux sans ambages à l’abolition du laojiao.

Capture d'écran du Forum Qiangguo sur le site du Quotidien du peuple : discussion en ligne sur la réforme du système du laojiao à travers le cas de Ren Jianyu.

La liberté exceptionnelle allouée par la censure sur un sujet qui a toujours été sensible signale que le nouveau pouvoir issu du 18e congrès du Parti semble pour l’instant tolérer cette offensive des médias et de la communauté des avocats et des juristes chinois.

M. Ren et son défenseur ont annoncé qu’ils feraient appel du jugement du tribunal. La raison invoquée par celui-ci est que la contestation de la condamnation de Ren Jianyu aurait dû, pour être valide, avoir lieu avant fin décembre 2011. Or, à l’époque, Bo Xilai et son chef de la police, Wang Lijun, régnaient en maître sur la municipalité de 30 millions d’âmes. « Je souhaite que mon cas fasse jurisprudence et que ma détention pendant 15 mois puisse servir à d’autres », a déclaré le jeune homme mercredi au quotidien Global Times. Il y explique que le comité de rééducation par le travail, qui a entériné sa détention, avait tenté d’obtenir qu’il abandonne sa plainte en échange de sa liberté, ce qu’il a refusé.

Ren Jianyu ne mène pas seulement un combat symbolique : à l’époque de son arrestation, il travaillait comme assistant d’un chef de bourg, dans un comté reculé de Chongqing, Pengshui, où il avait été envoyé en 2009, tout juste diplômé d’une université de Chongqing. Il venait au terme de ces deux ans de probation d’être sélectionné pour entrer dans la fonction publique. Son internement en camp a brisé sa carrière.

EXIGENCES PRESSANTES EN MATIÈRE D’ÉTAT DE DROIT

Le réseau de solidarité qui le porte aujourd’hui est nourri par l’exaspération née du scandale Bo Xilai, tant celui-ci a révélé au grand jour les aberrations d’une justice sous contrôle de la police et du parti. « Ce qu’il faut réaliser, c’est pour toutes les punitions qui restreignent la liberté, de rester dans le cadre de la justice. C’est une tendance, comme l’internement forcé pour les malades mentaux ou la désintoxication pour les drogués », a estimé mercredi 21 novembre le juriste Liu Renwen, directeur du bureau de recherche sur la loi pénale de l’Académie des sciences sociales, dans le quotidien Xiaoxiang Chenbao.

La nouvelle incarnation du pouvoir communiste, en la personne des sept membres du Comité permanent désignés la semaine dernière, sait que les exigences en matière d’état de droit sont pressantes au sein de la population. La mobilisation autour du cas de Ren Jianyu rappelle la campagne pour l’abolition des centres de rétention pour migrants sans papiers menée, et gagnée, par un groupe d’avocats et de juristes chinois, au motif que ceux-ci violaient la constitution.

C’était en 2003, l’année de l’arrivée au pouvoir de Wen Jiabao et de Hu Jintao. Un autre jeune homme diplômé avait servi de porte-drapeau lors de cette croisade, mais à titre posthume : Sun Zhigang, un graphiste de 27 ans tabassé à mort dans un centre de rétention pour migrants du Guangdong, où il avait été emmené parce qu’il n’avait pas ses papiers.

Dix ans après, une autre brèche est-elle en train de s’entrouvrir dans la cuirasse du système de répression chinois ? « On espère tous que le système de rééducation par le travail soit aboli, ou alors réformé et encadré par un tribunal, au lieu de dépendre de la police. Ce qui est difficile, c’est que la police est un organe du pouvoir. Elle bénéficie du système, et reprendre le pouvoir qui est dans ses mains n’est pas une tâché aisée », estime l’avocat Si Weijiang, joint par Le Monde. Me Si a défendu Fang Hong, un autre ex-prisonnier des camps de Chongqing, réhabilité en juin. « On ne peut pas dire que le laojiao est plus compliqué que le système des camps de rétention pour migrants. Mais quand ceux-ci ont été abolis, il leur restait les camps », dit-il en parlant de la police et du parti. « Or, si on abolit le laojiao, il ne leur reste plus rien… »

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