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Le mirage de l’émergence

Le Colonel Azali entend s’accrocher au pouvoir au moins jusqu’au début de la prochaine décennie pour, dit-il, faire des Comores un pays émergent. Après « Rehemani » et « Mtsowona ntrongo kamwa paro wona », voilà que le pays danse au rythme de « l’émergence à l’horizon 2030 ».

Au fait, que signifie ce concept à la mode dans certains pays en développement ? Le concept connaît plusieurs définitions. Nous allons cependant retenir celle proposée par l’Observatoire pour l’émergence en Afrique (OBEMA), un think tank d’experts africains qui a défini pour ce concept  » une approche méthodologique nouvelle et adaptée aux réalités du continent ». L’émergence est conçue comme « un processus de transformation économique soutenue qui se traduit par des performances aux plans social et humain et qui prend place dans un contexte politique et institutionnel stable susceptible d’en assurer la soutenabilité ».

L’émergence se caractérise par un fort taux de croissance sur une longue période, le développement d’une classe moyenne dotée d’un fort pouvoir d’achat et le dynamisme des investissements privés.

Examinons sans démagogie ni passion la situation actuelle des Comores avant d’évaluer la capacité de notre pays d’atteindre « l’Emergence à l’horizon 2030 ».

Selon les chiffres de la Banque Centrale des Comores, notre pays a affiché en moyenne un taux de croissance annuel de 2,58 % entre 2010 et 2019. Pour sa part, la Banque Mondiale indique que « Les travaux de reconstruction post-cyclone et l’appui des partenaires au développement (pour la stabilisation macroéconomique et les secteurs affectés par le cyclone), devraient faire remonter la croissance du PIB à 3 % en 2020 et 3,2 % en 2021 ». Nous constatons bien que notre croissance pour la décennie écoulée et que les projections faites pour 2020 et 2021 sont très en deçà des performances enregistrées par les pays qui sont sur le chemin de l’émergence, lesquels affichent souvent une croissance 2 à 3 fois plus forte que la nôtre.

S’agissant du critère du pouvoir d’achat et de l’expansion de la classe moyenne, il faut noter que la pauvreté ne cesse de gagner du terrain, les inégalités de revenu se creusent et le chômage est élevé, particulièrement chez les jeunes (8,5 % selon la Banque Mondiale). La fonction publique est saturée et les entreprises publiques croulent sous le poids des sureffectifs.

En ce qui concerne le critère du dynamisme des investissements privés, il faut souligner que le secteur privé comorien est principalement constitué d’une part d’entreprises de petite taille, à caractère familial et à fonds propres modestes et d’autre part d’opérateursdu secteur informel. La faiblesse structurelle de la valeur ajoutée générée par le secteur privé et la politique de crédit restrictive adoptée par les banques de la place limitent considérablement les capacités d’investissement. Dans ces conditions, il serait illusoire de compter sur les opérateurs économiques comoriens pour réaliser les investissements nécessaires à l’Emergence.

Le décollage économique nécessite de GROS MOYENS qui ne sont pas à la portée des agents économiques comoriens. Seuls des investisseurs étrangers sont capables de financer les infrastructures indispensables à l’émergence décrétée par le Président. Or BEAUCOUP reste à faire pour que des investisseurs étrangers sérieux affluent aux Comores.

Le caractère aléatoire des décisions de justice et le manque d’indépendance de la justice ne favorisent pas le climat des affaires. Le cri de colère de M. Marc ATHIEL lors de sa conférence de presse à Moroni en janvier 2015 a été entendu à 10 000 lieues des Comores. Le Directeur Général de la BDC et Président de l’Association Professionnelle des Institutions Financières et Bancaires comoriennes avait déclaré : « L’environnement judiciaire se dégrade et il est de plus en plus hostile. La Banque Centrale est alarmée par l’aggravation du taux de contentieux de 30% de toutes les banques et institutions financières et un taux de recouvrement qui est proche de 0 » Il avait ajouté qu’ « il faut qu’on se batte pour obtenir les jugements et les faire exécuter……La santé bancaire des Comores est en danger car il y a des décisions qui sont rendues en dépit du bon sens. On demande l’application du Droit et des lois » Son avocate, Me Fatoumiya MOHAMED ZEINA, fut suspendue par 1ère Présidente de la Cour d’Appel de Moroni pour avoir déclaré lors de cette conférence de presse qu’EXIM a été contrainte par la justice de prêter de l’argent à un client indélicat et que les banques étaient obligées par les tribunaux comoriens « d’encaisser des fonds dont la provenance n’a pas été justifiée » Ces errements de notre appareil judiciaire nuisent gravement au climat des affaires. Cette page sombre de la justice comorienne est loin d’être tournée. Ce n’est pas le Procureur Général près de la Cour d’appel de Moroni, celui qui a déclaré que certains justiciables achetaient les décisions de justice, qui dira le contraire.

D’autres handicaps se dressent sur le chemin de l’émergence. Le secteur privé a besoin d’une administration efficace or notre pays est sous-administré malgré une fonction publique pléthorique. En dehors de Moroni, le pays ressemble à un désert administratif. Par ailleurs, des considérations autres que professionnelles inspirent la plupart des nominations aux postes stratégiques de l’administration et des entreprises publiques.

Le pays manque cruellement d’ouvriers qualifiés. Le Comorien n’est pas connu pour son assiduité au travail. Les coûts de nos facteurs de production sont plus élevés (travail, électricité, eau, télécommunications, transport) que ceux des pays de la région. En définitive, notre pays est mal placé dans la compétition régionale pour attirer les investisseurs étrangers. Dans les conditions actuelles, seuls pourraient tirer leur épingle du jeu les escrocs de la trempe de Ally SALEH BALHABOU, de Bachar KIWAN ou de ASHLEY ou les investisseurs qui, en échange de pots-de-vin versés à « qui de droit », violeraient allègrement les règles du jeu. Ceux-là n’apporteraient rien aux Comores. Ne brûlons pas les étapes. Nous devons d’abord assurer les fondamentaux avant de songer à l’émergence.

37 pays africains sur 54 déclarent avoir lancé un plan pour l’Emergence. Il faut distinguer 2 groupes parmi ces 37 pays : ceux qui, à l’exemple de beaucoup de nos voisins de l’Afrique orientale sont dans l’action et donc lancés dans la bonne trajectoire et ceux qui, à l’exemple des Comores, sont dans l’incantation et les gesticulations.

ABDOURAHAMANE CHEIKH ALI

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