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Le soutien d’Elton John à Ai Weiwei irrite la Chine

La prestation d’Elton John à Pékin, dimanche 25 novembre, n’a pas été appréciée par les médias officiels chinois. Non pas pour une question de goût musical ; elle a été considérée comme une « fausse note » politique de la part du chanteur britannique pour avoir dédié son concert à l’artiste dissident Ai Weiwei… « Par son comportement inattendu, Elton John a manqué de respect envers le public et envers le contrat qu’il a signé », a dénoncé, mercredi 28 novembre, le Global Times dans son édition en anglais. « Nous suggérons aux spectateurs chinois de ne pas hésiter à protester contre le provocateur et à le chasser hors de scène sous les huées », écrit le quotidien, connu pour ses positions nationalistes. Elton John doit jouer également à Canton (sud de la Chine) le 6 décembre.

L’architecte et plasticien Ai Weiwei, qui ne peut plus quitter le territoire chinois depuis un an et ne se prive pas de la liberté qu’offre Internet, a publié sur son compte Twitter, censuré en Chine, une photo de lui avec la star britannique.

Photographie d'Elton John et d'Ai Weiwei diffusée par l'artiste dissident chinois sur son compte Twitter

L’artiste a pris l’habitude d’utiliser le Net pour contourner les pressions et les censures dont il est la victime. Début novembre, il a publié sur YouTube une vidéo se moquant des mesures de sécurité déployées pour le 18e congrès du Parti communiste chinois (PCC), qui s’est tenu à Pékin entre le 8 et le 14 novembre, en particulier le retrait des manivelles à l’arrière des taxis pour empêcher les passagers de baisser les vitres…

On y voit des témoignages de chauffeurs de taxi. Les autorités ne souhaitaient pas que soient lancés des tracts. Les fenêtres des bus avaient également été scellées avec du ruban adhésif et des vis. Celui qui tourne s’amuse d’ailleurs à en enlever une, comme une bravade au pouvoir.

Ce combat, on le retrouve dans un film, consacré à Ai Weiwei, et qui sort en France le 5 décembre. La réalisatrice Alisson Klayman, qui vit depuis 2006 en Chine, a suivi l’artiste pendant trois ans pour produire le documentaire Ai Weiwei: Never Sorry, primé au dernier festival de Sundance, aux Etats-Unis.

Lors d’un débat à Paris, à l’occasion de la sortie en avant-première dans la capitale française, Emmanuel Lincot, rédacteur en chef de la revue Monde Chinois-nouvelle Asie a qualifié l’artiste et architecte de « démiurge ». Ai Weiwei se définit, lui, comme un trublion ou un « hooligan ». On pourrait ajouter épicurien, révolté et ambigu.

Le documentaire comporte une scène qui évoque la popularité de l’artiste. Attablé avec toute sa suite à un restaurant de la rue de Chengdu, réputée pour ses soupes de pieds de porc, il se fait interpeller par un passant. Un homme de la rue qui lui sert la main. Ai Weiwei l’invite à sa table, mais l’homme lui répond que le simple fait de lui serrer la main suffit à le rendre heureux. Tout ça sous la caméra d’un policier, qui n’hésite pas à le filmer à seulement quelques mètres de sa table.

Au-delà de l’histoire d’Ai Weiwei racontée dans ce film, revenir sur son destin, c’est se plonger dans les évolutions de la société chinoise. Qualifié de « droitiste », son père, le grand poète Ai Qinq, est envoyé dans le désert du Taclamakan en 1958 dans une communauté paysanne. « Fils de », Ai Weiwei aura l’opportunité de partir à New York dans les années 1980, après la réhabilitation de son père. Il y reste dix ans, fuyant un pays qu’il déteste. Sa silhouette svelte s’estompe au fil des ans et la barbe pousse. En 1989, il suit « chaque heure, chaque minute, chaque seconde » les événements de Tiananmen devant sa télévision. Il se pose la même question que d’autres artistes et étudiants chinois aux Etats-Unis : « Doit-on rentrer ? » Dès cette époque, il s’illustre dans l’image et prend de très nombreuses photos, plusieurs dizaines de milliers à ce jour.

De retour au pays en 1993, il fonde, avec un groupe d’artistes, la China Art Archives and Warehouse. Il choque en cassant un vase de l’époque Han ou en peignant sur un autre les mots « Coca Cola » en lettres rouges. Il déplore et documente la disparition des quartiers historiques de Pékin et signe la Charte 08 du Prix Nobel de la paix, Liu Xiaobo. Après le tremblement de terre au Sichuan, en 2008, il organise un réseau de bénévoles, recrutés pour la plupart par Internet, qui sillonnent les campagnes sichuanaises à la recherche des noms des enfants morts dans des écoles conçues à la va-vite et détruites lors du séisme.

Il disparaît plusieurs mois en 2011 après avoir été arrêté par la police. Libéré sous caution, à sa sortie, il a maigri, et s’interdit tout commentaire sur sa détention. Aux journalistes venu l’interroger quand il rentre chez lui, il les intime « de comprendre ». Les autorités l’inculpent d’évasion fiscale et des anonymes viennent déposer des billets devant sa porte pour l’aider à payer son amende de 1,7 millions d’euros. Lui qui n’a pas de mal à vendre des œuvres à 300 000 euros.

Ai Weiwei.

Ses détracteurs allèguent qu’il n’existerait pas si la société n’avait pas déjà changé. Mais il est le produit de son époque, où plus d’un demi-milliard de Chinois sont connectés à Internet. Il est, selon Emmanuel Lincot, un « homme de l’image ». Privé de liberté, il déclare au magazine Foreign Policy : « Twitter est ma ville, ma ville préférée. Je peux parler à qui je veux. Et tous ceux qui le veulent peuvent avoir ma réponse. » Ses actions sont désormais intimement liées au Net et il passe plusieurs heures par jour à discuter, à écrire et à communiquer sur le Web.

En 2009, alors qu’il part témoigner au procès d’un activiste, la police débarque dans son hôtel, le séquestre et un policier le frappe à la tête. Il prendra une photo de ses agresseurs qu’il publiera sur Twitter. Un mois plus tard, il doit être opéré du cerveau. Il postera également des photos de sa convalescence.

Pour certains, sa relation au pouvoir est cependant ambiguë. S’il dénonce l’oppression, il participe en tant qu’architecte à la construction du Nid d’oiseau, le grand stade des Jeux olympiques de 2008, avant de dénoncer l’utilisation des JO par le régime. Il participe aussi à un autre projet démentiel dans le désert de Mongolie-Intérieure. L’occasion, pour ses détracteurs, de dénoncer un artiste « un pied dans la rébellion et l’autre dans la collaboration ».

Ai Weiwei possède plus d’une vingtaine de chats. Un seul sait ouvrir sa porte pour sortir mais ne sait pas la refermer. C’est ainsi qu’il explique sa liberté au tout début du documentaire d’Alisson Layman. Le journaliste Pierre Haski, ancien correspondant de Libération en Chine, juge que « les autorités chinoises ne savent pas comment faire avec lui. Il a une aura extraordinaire à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur, ça n’a pas de précédent. Ils ne peuvent pas le laisser disparaître mais ne peuvent pas laisser la porte ouverte »

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