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"L’électorat nippon a voulu goûter à une certaine dose de nationalisme"

Le Parti libéral-démocrate (PLD), emmené par le conservateur Shinzo Abe, a remporté les élections législatives japonaises, dimanche 16 décembre. Pour l’ancien diplomate français à la retraite, Yo-Jung Chen, qui a servi dans plusieurs pays asiatique dont la Chine et le Japon, l’électorat nippon a voté en réaction à la peur suscitée par la Chine et les deux Corées.

Les Japonais ont accordé leur confiance au PDJ, emmené par le faucon Shinzo Abe, lors des élections législatives, dimanche 16 décembre.

Quel peut être l’impact de l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe sur les relations avec la Chine à la fois politiquement et économiquement ?

Yo-Jung Chen : A première vue, le retour du nationaliste Abe semble présager davantage de la détérioration des relations avec la Chine et la Corée. Mais malgré les prises de position « faucon » du candidat Abe, il est désormais temps pour le futur premier ministre Abe de retourner sur terre et de faire face à la réalité complexe de la diplomatie. Tout comme l’électorat japonais, la Chine a éprouvé un raz-le-bol des trois années de maladresse des gouvernements démocrates et semble avoir souhaité le retour au pouvoir du PLD d’Abe.

Vu de Chine, même si le PLD est plus « faucon » et nationaliste, c’est un parti qui, à la différence du Parti démocrate du Japon [PDJ] sortant, compte de nombreux « canaux » avec la Chine [les démocrates ont fini par purger tous ceux en son sein qui prônaient un rapprochement avec la Chine au détriment des USA] et qui connaît depuis un demi-siècle tous les rouages compliqués des relations sino-japonaises. Donc un parti avec qui il est possible de discuter.

Comme éléments positifs, M. Abe, lors de son dernier mandat de premier ministre, est connu pour avoir réparé les relations avec la Chine et la Corée du Sud qui avaient été endommagées par son prédécesseur. On est tenté d’espérer qu’il fasse de même cette fois. Mais c’était il y a cinq ans. Cette fois-ci, il a tenu des propos nationalistes et populistes qui, une fois mis en œuvre, vont certainement envenimer davantage les relations avec la Chine et la Corée – révisionnisme de l’histoire, pèlerinage au Yasukuni, stationnement de fonctionnaires sur les îles Senkaku/Diaoyu, amendement de la Constitution, remilitarisation.

Ceci dit, les « freins » ne manquent pas du côté du PLD devant un éventuel dérapage des relations avec la Chine. La future coalition PLD-Komeito va permettre au parti bouddhiste [centre] de freiner les éventuels dérapages d’Abe vers la droite. De plus, la présence au sein du PLD d’éléphants influents et modérés comme Masahiko Komura, vice-président du parti, ancien ministre des affaires étrangères et président de la Ligue d’amitiés parlementaire nippo-chinois, permet aussi d’espérer que ce parti finira par trouver une solution réaliste, même dans les coulisses, avec les Chinois.

Enfin, le PLD doit quand même tenir compte du souhait de ses soutiens, en particulier le patronat. Ce dernier a besoin d’une bonne ambiance avec la Chine afin de continuer de mener des affaires sur le marché chinois, indispensable pour la sortie du marasme économique nippon. Il n’a donc pas intérêt à voir les relations s’envenimer davantage avec la deuxième puissance économique mondiale.

Cela va-t-il pousser le Japon à se rapprocher encore plus des Etats-Unis et dans le même temps développer une plus grande autonomie militaire ? Bref assiste-t-on à la fin d’un modèle né de l’après-guerre ?

Au cours des trois dernières années de leur règne, les démocrates sont généralement considérés pour être les responsables de la ruine de la sacro-sainte alliance nippo-américaine avec leur tentative initiale de se rapprocher de la Chine et de mettre en question les bases militaires américaines à Okinawa. Il y a donc aujourd’hui un consensus national sur la nécessité de reconsolider les liens avec les Etats-Unis.L’échec cinglant des démocrates a, par ailleurs, contribué à renforcer un mythe traditionnel de la classe politique au Japon d’après-guerre : tout homme politique qui se met à dos l’Amérique finit mal. Le Japon a donc besoin de se recadrer dans une alliance solide avec Washington et de réparer ses relations avec la Chine dans la limite permise par cette alliance.

En même temps, il y a aussi une prise de conscience que l' »Oncle Sam » n’est plus le protecteur tout-puissant qu’il était autrefois. Pire encore, ce protecteur montre des signes croissants d' »infidélité », semblant être désormais plus attiré par la Chine. Ce constat, aidé par la menace chinoise et par le souci américain de voir le Japon épauler une part croissante de la responsabilité de sa défense, donne force aux nationalistes qui ont toujours préconisé une plus grande autonomie militaire du pays. Pour la première fois, les tenants de cette autonomie militaire ont pu sortir de l’ombre grâce à la peur suscitée par les Chinois [violation de l’espace aérien nippon deux jours avant le scrutin nippon] et les Nord-Coréens [tir d’une fusée balistique intercontinental deux jours avant le scrutin nippon].

Certains éditorialistes nippons accusent ainsi les Chinois et les Nord-Coréens de s’inviter dans l’élection japonaise en faveur de M. Abe. Cette tentative vers davantage d’autonomie militaire n’est pas nécessairement une remise en question du modèle d’après-guerre. Ce modèle a toujours consisté à s’appuyer sur l’alliance nippo-américaine tout en accumulant, dans la limite de la Constitution pacifiste, des faits accomplis vers l’autonomie militaire, aidé dans ce sens par des pressions américaines. On a vu ces faits accomplis se réaliser en Irak et en Afghanistan où le Japon a envoyé ses soldats même si c’était pour des missions sans combat. Les dernières propositions d’autonomie militaire – amendement de la Constitution, création d’une vraie armée – ne sont qu’un pas de plus dans cette série de faits accomplis, même s’il s’agira d’un pas important.

On parle beaucoup de la droitisation du PLD et de la résurgence du nationalisme au Japon, comment peut-on l’expliquer ?

Au bout de deux décennies de morosité et de déclin, les Japonais pensaient avoir trouvé un espoir en 2009 en portant au pouvoir le PDJ et en mettant fin au demi-siècle de pouvoir continu du PLD. Or, les démocrates se sont révélés extrêmement maladroits et inexpérimentés aussi bien dans la diplomatie que dans la politique intérieure, notamment dans la gestion de la catastrophe naturelle et nucléaire du 11 mars 2011.

Profondément déçus, les Japonais cette fois ont refait confiance à l’expérience du PLD en matière économique, même si, en matière de diplomatie et de défense, ce dernier fait des promesses populistes qui inquiètent certains. De toute façon, la diplomatie n’a jamais été un facteur prioritaire dans l’esprit de ceux qui votent.

Il est vrai que, exaspérés par l’escalade des querelles territoriales avec la Chine, les électeurs nippons ne sont plus émotionnellement si allergiques à l’abandon partiel du pacifisme qui a été la religion fondamentale du pays depuis la fin de la guerre. Mais je ne suis pas sûr que la majorité des Japonais aient vraiment viré à droite. Dans un sens, l’électorat nippon a même fait montre d’une certaine retenue en matière de nationalisme. Par rapport au raz-de-marée accordé au PLD, il n’a donné qu’une avance modeste au nouveau « Parti de la restauration » présidé par l’ultranationaliste Ishihara Shintaro [ancien gouverneur de Tokyo] qui préconise une position nationaliste [et antichinoise] beaucoup plus extrêmiste que le PLD.

Autrement dit, exaspéré par la Chine et les deux Corées, l’électorat nippon a voulu goûter à une certaine dose de nationalisme, mais pas trop. Il sait par expérience que le nationalisme peut déraper vers le totalitarisme militariste.

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