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L’hommage émouvant d’Elbada à Salim Himidi

Militant du Pasoco et du Molinaco, ancien ministre, sous le régime du mongozi Ali Soilihi et sous celui de Mohamed Taki Abdoulkarim, Salim Hadji Himidi s’en est allé, ce samedi 28 mars 2020, emporté à coup sûr par la grande confusion du coronavirus.

Pas de funérailles nationales. Pas de drapeaux en berne. Salim Hadji Himidi s’en est allé à pas de loup. Il s’est retiré dans le silence parisien accompagnant la tétanie du coronavirus. En d’autres temps, il y aurait des discours d’Etat à la pelle. Des pleureuses de Mbeni en transe. Des frères d’armes conciliants. Mais l’atmosphère apocalyptique du moment ne s’y prête pas. Salim Hadji Himidi, connu pour sa geste et sa cour des miracles ambulante, n’a pas réussi à se bricoler une sortie avec panache. Mauvais timming ! Il se serait surtout rendu au mauvais endroit, au mauvais moment. Il aurait voulu honorer un ultime raout de famille, par loyauté. Un mariage, qui, selon la rumeur, aurait coûté la vie à sept personnes, au moins. Ainsi se construisent les légendes…

Salim Hadji Himidi est mort, à l’heure où les enterrements se gèrent en silence. Seules lui survivront les paroles de ceux qui voudront témoigner de sa grandeur, ici bas. « Un des penseurs les plus intelligents, les plus fous et les plus larges que j’aie jamais rencontrés » lit-on sur le mur fb d’un certain Gil Shepherd. Cet ami, dont le nom rappelle étrangement un personnage fantasque de La rose pourpre du Caire, se souvient de sa toute première fois avec lui : « Il était intelligent, radical ». En écho, ce mot d’Ahmed Thabit, un ancien de l’Union africaine, sorti de « l’école zanzibarite », qui parle de « patriote », de « camarade ». Le journaliste Ali Moindjie, qui se souvient de ses virées parisiennes à ses côtés, le fait rentrer dans l’histoire en héros, Le comparant à « une montagne de culture, doublée de générosité»

POLITICAL DANDY.

Moindjie exprime sa fascination pour l’homme : « j’étais intrigué par ce jeune homme barbu aux habits surprenants (il portait des chemises amples [dites] africaines, une mode alors inconnue chez nous ) qui sillonnait nos villages pour critiquer Mohamed Taki et parler d’indépendance. Dans les chaumières, on l’appelait le « fils fou de Hadji Himidi ». Plus tard, ce n’est pas sans fierté qu’on le voyait passer dans sa voiture de fonction comme ministre de l’Intérieur d’Ali Soilih, jouant en même temps sa partition diplomatique, de concert avec Mwigni Baraka et Mouzawar Abdallah. Au collège, feu Abdoulbar, son frère, donnait au compte-goutte quelques bribes d’informations sur ce frère prodige qui venait de « signer le nouvel accord de coopération avec la Chine ». Un pan entier de l’histoire de l’archipel se niche en ces mots. Salim Hadji Himidi a largement contribué, en effet, au destin politique des siens. Homme d’esprit à l’humour légendairement espiègle, il appartenait à une génération, qu’on cherche désormais à disqualifier, mais qui a rendu l’Etat moderne possible dans le pays.

Phénomène connu ! La mort arrive toujours avec des éloges. Mais tout le monde ne l’aimait pas, pour autant. Salim Hadji Himidi est ce gars, dont on croise le nom à tous les étages de l’histoire politique de ce pays depuis les années PASOCO, sans plus trop savoir pourquoi. Comme si on ne lui concédait pas les honneurs dus aux hommes de son rang. Comme si on se refusait à raconter ses moments de gloire. Certains jeunes historiens, dont ils se méfiaient comme de la pire barbouzerie, l’ont parfois soupçonné de manipulation, lui reprochant de chercher à influer sur leurs travaux. Lui ne manquait pas de les accabler, à cause des écoles où on les formait, pensait-il, à adopter le point de vue du maître. Celui des vainqueurs. Un tempérament qui fait d’un homme une cible facile, surtout s’il est quelque peu retors aux parcours classiques.

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Salim Hadji Himidi n’a pourtant eu de cesse à Zanzibar, Londres ou Paris, de défendre sa dignité d’enfant de ces îles. Contre la main puissante du colonisateur, contre la reddition annoncée des élites face à l’adversité, contre les mensonges éclairés de certains hommes de pouvoir, qu’il a toujours côtoyé sans se plier aux usages.Salim Hadji Himidi était connu pour être un séducteur en politique – et pas que – au comportement fort sulfureux pour les apparatchiks.

Un post de Mohamed Chanfiou Ben-Charaf raconte comment il a œuvré, sans réel mandat, au moment de l’admission des Comores aux Nations Unies, dans une mécanique troublante qui allait pousser au remplacement par la France de Louis de Guiringo, leur émissaire : « Ce n’est que le 11 novembre 1975, au moment où le président Djaffar a été convié au déjeuner de bienvenue, que le secrétaire général des Nations Unies, Kurt Waldheim, s’est aperçu que la personne qui a défendu le dossier au conseil de sécurité, en l’occurrence Salim Himidi, n’avait aucun mandat officiel ». La reconnaissance des frontières comoriennes a ainsi eu son « fou du roi ». Encore faut-il que les historiens du pays lui rendent justice, un jour. Après un attentat survenu dans son hôtel à Montreuil, Salim Hadji Himidi serait parti à New-York de son propre gré, « sans l’aval du gouvernement comorien », pour aider à redémarrer le processus d’indépendance en cours, juste après le gel des négociations par Abbas Djoussouf à Paris.
On aurait aimé lui poser la question. L’entendre commenter le fait, avec son éternel accent de kumredi coupé au couteau. On aurait aimé le titiller sur ce point. Un peu comme tous ses jeunes étudiants, issus de la diaspora, dont il s’entourait, afin de réinterroger la geste politique d’un pays qu’il chérissait. Ouvert à toutes les générations, il promenait son charisme du bangwe au café, en sachant s’adapter aux plus rétifs d’entre eux. Il finissait toujours par les inviter dans les restaus du faubourg Saint-Denis. Nan fromage, poulet tandoori ou riz biryani et lassi.

Ce fin connaisseur de l’histoire, salué pour son érudition dans le domaine des luttes pour l’émancipation des peuples du Sud, appréciait l’insoutenable légèreté de la vie à Paris, les bonnes tables garnies et tous ces instants de partage, qui étaient autant d’occasions de ferrailler. Il y marquera les esprits, par son allure de political dandy, ses audaces langagières, ses analyses pointues, son regard acéré sur le monde post « guerre froide », sa grande connaissance des figures intellectuelles postcoloniales. Il lisait énormément, pouvait discuter de Glissant comme d’Edouard Saïd ou de V.S. Naipaul. Il allait au théâtre, apprenant à ses protégés à apprécier Mac Beth ou Don Juan sur un plateau. Il connaissait bien le monde négro africain du Tout-Paris, dissertait assez facilement sur l’acteur James Campbell, notamment distribué chez Savary, et qu’on a aussi vu chez Vadim, Audiard ou Antonionni, sans parler de Palcy, Panou ou Gomis.

Enfant du Tout-Monde, il rêvait d’une mise en récit haute en couleurs pour les siens, parlait même de finir une thèse sur l’identité culturelle des Comores. Des attentes qui finissaient par le transformer en « Mr Loyal » du gotha. Pour ses compatriotes politiciens, la culture n’est souvent qu’une manière de briller en service commandé. Pour Salim Hadji Himidi, qui appréciait de se faire détester de ses amis pour ses bons mots, la culture était une véritable ligne de vie. Il en jouait autant que possible, notamment lorsqu’il déboulait sur les fronts ouverts par la jeune génération. Il n’y avait pas une manif importante, où il ne pointait son nez, dans le désir de ne pas rester seul sur un quai, à l’image de certains « dinosaures ».

Salim Hadji Himidi aimait conseiller, provoquer des rencontres. Il aimait surtout trouver matière à surprendre, en fomentant des scénarios post révolutionnaires. Il lui arrivait de se montrer insouciant – ce qu’il était loin d’être – pour tromper l’ennemi. Salim Hadji Himidi est mort, ce samedi 28 mars, alors qu’il s’apprêtait, selon un proche, à rendre hommage à un compagnon de route, tout aussi sulfureux que lui, Ibrahim Halidi, disparu le mois dernier. Salim aurait réservé une salle parisienne pour une prière collective en ce jour où lui-même a choisi de tirer sa révérence. Ultime numéro pour un homme qui n’était jamais à l’endroit où on l’attendait ! Salim en tous cas avait peu communiqué sur l’événement, comme une manière de ruser, une dernière fois, contre le diable, sans se signer. Paix à son âme !
Soeuf Elbadawi

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