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L’indifférence de nos « clercs » face à la grande faucheuse

Notre pays est étrange. Il est hanté par d’innombrables mystères. Ces « djinns » abondamment évoqués dans notre mythologie nationale. Un phénomène qui dépasse l’entendement et toute rationalité.
Cet archipel manchot, privé de son quatrième pilier, regorgerait d’une infinité de docteurs ès-savoir toute discipline confondue, d’universitaires de renom, d’une foultitude de femmes et hommes de loi, d’administrateurs chevronnés et autant d’experts de grande qualité.

Et pourtant, face à la pandémie du coronavirus, le pays se meurt dans l’indifférence indigne de cette élite majestueuse.

Aucune ou aucun de ces honorables personnalités du champ du savoir, de la science et de la connaissance en générale n’a élevé la voix pour alerter, sensibiliser et préparer l’opinion à affronter cette pandémie.
Ces « sachants » ont fait le choix de s’automuseler. Ils sauvegardent leurs forteresses et les gratifications qui en découlent. Une manière de se prémunir pour ne pas heurter le Rais-Imam et éviter les foudres de son cabinet et de l’ogre parti gouvernemental.
Ils ont abandonné cette besogne à une société civile représentée par les structures et organisations villageoises aidées par les bons samaritains, les bonnes âmes charitables des organisations patronales, la générosité et la solidarité bienveillante et légendaires de sa diaspora.

Face au déni du gouvernement pendant la première vague où on dénombrait plusieurs dizaines de décès dans nos villes et villages, nos élites ont démissionné. Ils ont acquiescé en approuvant la funeste propagande des autorités vantant la singularité de notre pays d’être le rare du continent africain à ne pas comptabiliser des victimes du coronavirus.

Des pseudo explications scientifiques ont été même avancées par des médecins griots du régime et reprises comme antienne par une certaine élite pensante.

Paradoxalement, pendant ce temps un appel à l’aide multiforme des organisations internationales et des pays amis a été lancé par le gouvernement. On parle de plusieurs dizaines de milliards de notre monnaie octroyés, de dizaine de milliers de masques, de kits et divers matériels et équipements livrés et remis aux autorités sous l’œil des caméras et des directs des facebookeurs.

Mais le peuple n’a pas vu la couleur de cette manne financière. Comme à l’accoutumée, elle a fait le bonheur de l’infime minorité qui a capturé l’Etat.
En revanche les kits ou les masques sont visibles dans les officines officiels ou officieux mis au prix aux plus offrants.
Notre système de santé publique a révélé sa nudité et son dénuement: aucun hôpital digne de ce nom, un plateau technique inexistant, un personnel certes dévoué mais insuffisamment formé et préparé, les salaires de misère des soignants et la déconsidération dont ils font l’objet. Ce que tous les citoyens savaient depuis des lustres.

La seconde vague apparue dans l’ile de Mohéli et étendue à l’ensemble du territoire décime notre peuple. Elle aurait dû provoquer l’onde de choc indispensable incitant la population à manifester son courroux et à notre intelligentsia de se faire entendre auprès de ceux qui nous mal – gouvernent. D’oser affirmer l’intérêt national et le placer au – dessus de toutes les considérations partisanes et des mesquins intérêts personnels.
Malheureusement, Ils ont tous raté l’occasion en faisant le dos rond pour laisser passer l’orage. Seuls le porte – parole du gouvernement érigé en coordinateur du « Conseil machin » et du puissant directeur de cabinet et secrétaire général du parti gouvernemental ont voix au chapitre.
A l’exception de l’infatigable et éveilleur de conscience Idriss Mohamed Chanfi et Said Mohamed Mchangama, patron et éditorialiste de la Radio Hayba-Fm, très peu de voix se sont exprimées dans le charivari médiatique orchestré par les mauvais communicants du régime.
Ces deux personnalités prêchent dans le désert. Ils tentent d’alerter les gouvernants et d’interpeller les intellectuels à rompre leur silence complice pour conjuguer leurs efforts et faire front contre la propagation de ce virus.

Ils ont recueilli l’appui des artistes (Cheikh MC, Salim Ali Amir et autres) et de nombreux jeunes « facebookeurs-aux smartphones » qui s’échinent sans compter à sensibiliser et informer au quotidien un peuple désemparé face à une pandémie sans pareille.

Mais ils ne disposent pas du savoir, des compétences et de l’autorité intellectuelle et morale suffisantes pour fléchir la politique de gestion de cette crise sanitaire sans précédent. Des contre-pouvoirs et expertises qui échoient aux intellectuels et à la caste des « sachants».

En à peine quatre semaines, les courageux et si dévoués hommes du COSEP et du Croissant vert (ces fameux travailleurs essentiels) ont enterré près d’une centaine de comoriens dans les différentes localités de l’Union des Comores. Un chiffre faramineux pour un petit archipel comme le nôtre. Nos villages s’organisent autant qu’ils peuvent pour faire reculer les thèses farfelues du déni de la pandémie en demandant aux populations de se protéger et de lutter contre cette pandémie.

Pendant que la peur et la psychose gagnent le pays tout entier, les travailleurs immigrés que nous sommes se demandent où sont passés nos intellectuels ? Quand est ce que les verrons- nous interpeller les gouvernants, exercer leur esprit critique, pétitionner et suggérer des pistes alternatives à la gestion chaotique du gouvernement ?
Cette crise pandémique révèle les failles béantes de notre système de santé, l’incompétence et l’incurie des gouvernants qui se sont succédé pendant ces quatre et bientôt cinq décennies post-indépendance.
Elle confirme surtout la démission de nos clercs dont le rôle en temps de crise politique, économique et sanitaire est d’éclairer le peuple et de s’engager pour le faire sortir de l’obscurantisme ou du marasme économique, social et sanitaire auquel il est confronté.

Les artistes (wavandzi) ont montré la voie. Le temps d’un sursaut patriotique s’impose. Aux intellectuels d’allumer le flambeau de la liberté et d’éclairer le peuple.

MOHAMED Bakari

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