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Mayotte, l’île des traqués

Dans ce département ultramarin, des habitants mènent des opérations de «décasage» contre les réfugiés comoriens : ils les attaquent la nuit dans leurs abris pour les forcer à quitter le territoire.

Ils ont surgi alors qu’Assina dormait à l’étage du lit superposé, dans le «banga» de ses parents. Une case en tôle, sans eau ni électricité, cachée au milieu des bananiers et des plants de manioc, sur les hauteurs de Kani-Kéli, un village de 6 000 habitants dans le sud de Mayotte. «Ils ont jeté des cailloux sur le toit, raconte la lycéenne de 17 ans, encore traumatisée par cette nuit du 25 mars. Puis ils ont cassé la porte avec leur chombo [machette], brisé les deux fenêtres et ils sont entrés, tous cagoulés.» Si Assina et ses parents ne dégagent pas les lieux au petit matin, gare à eux, préviennent les villageois.

La famille est d’origine comorienne, une communauté fréquemment victime de la vindicte populaire à Mayotte : les immigrés, en situation irrégulière pour 74 % d’entre eux selon l’Insee, sont tenus pour responsables de l’insécurité qui sévit sur «l’île aux parfums». Durant six semaines, la population, à l’appel d’un Collectif de citoyens et d’une intersyndicale, a dressé des barrages à plusieurs endroits de l’île pour réclamer davantage de moyens à l’Etat (1). Comme en 2016, les manifestations et grèves ont dégénéré dans quelques villages de la «brousse» en «décasages», l’euphémisme local de ce qui s’apparente à de véritables ratonnades. «Ils ont sorti les cartes à puce de nos téléphones avant de les détruire, pour qu’on ne prévienne pas les autres», poursuit Assina.
«Peur du noir»

Les autres ? Il faut encore crapahuter jusqu’à la forêt pour tomber sur une communauté de cinq familles, regroupées autour d’un feu de bois, sur lequel cuisent des bananes vertes et du manioc. Dans un bidon, des tangues, une espèce de hérisson, tournent en rond avant de finir à la casserole. Là aussi, les villageois sont montés pour chasser leurs voisins, originaires d’Anjouan, une des trois îles des Comores, située à 70 km de Mayotte. Pourtant, la plupart des enfants du groupe, telle Assina, sont nés à Mayotte : même si leurs parents sont des clandestins, eux sont français, personne ne peut légalement être expulsé… Peu importe : «Terrorisée», Mariati a fui dans la forêt où elle a dormi six jours avec ses cinq enfants. «On avait peur du noir et du bruit des vaches», raconte la mère de famille, accroupie sous un manguier. David aussi a tenu compagnie «aux chauves-souris et aux makis [des lémuriens]». Lui a tout perdu, les Mahorais ont brûlé sa cahute en tôle, 300 mètres plus bas, près du village. «Heureusement, j’étais parti avant avec ma femme et mes enfants», soupire l’homme, prostré sur un banc de pierre. Dans le banga encore fumant, on trouve les restes d’un sommier et, sur le fil d’étendage, un jean et un tee-shirt calcinés. Tous près, protégé des cambrioleurs par les barreaux de sa maison en dur, un «mzungu» (métropolitain) témoigne : «Les vitres ont explosé, la fumée rentrait chez nous, j’avais peur qu’une bouteille de gaz explose.»

Un autre banga a été incendié, cette fois sur le littoral de Kani-Kéli, en bordure de la mangrove. De la baraque ne subsistent qu’un amas de tôles couleur rouille et des cahiers d’écolier noircis et détrempés. «Les habitants suspectaient la famille d’accueillir les Comoriens débarqués en « kwassa-kwassa »», confie Anderson, un jeune qui essaie de s’en sortir comme guide. Les «kwassa» ? Des barques motorisées sur lesquelles s’entassent, depuis Anjouan, les Comoriens candidats à une vie meilleure dans l’eldorado français qu’est Mayotte.

Une traversée non sans risque : entre 1995 et 2012, entre 7 000 et 10 000 de ces boat people sont morts noyés. Et chaque année, Mayotte – 260 000 habitants – expulse une moyenne de 20 000 sans-papiers ! Pourtant, de nombreux Mahorais reprochent à l’Etat de ne pas faire son travail. Parmi eux, Faissoil (2). Ce fonctionnaire du conseil départemental discute sur un banc en bois, devant une épicerie. A Kani-Kéli, on surnomme le lieu le «Sénat», car les hommes, souvent inoccupés, y refont le monde. Et organisent l’innommable. «On a prévenu les clandestins avec le haut-parleur de la mosquée qu’ils devaient partir, raconte tranquillement le milicien. Et on les a « décasés ». Ils ne pouvaient résister, on était plus nombreux. Ça fait mal au cœur de chasser des enfants scolarisés chez nous. On a pitié, ce sont des êtres humains, mais les vols de bananes et les rackets, c’est eux !» A Acoua, dans le nord de l’île, un collectif s’en est également pris aux clandestins, après avoir appelé dans un tract au «ratissage des zones suspectes», et demandé à «anéantir les bangas sauvages».

Ce comportement est applaudi par une partie des habitants, reconnaît ce policier en civil, croisé à la sortie d’un barrage de pneus et de palettes. Le fonctionnaire se défend de tout racisme mais est exaspéré par l’impuissance de «la cinquième puissance du monde à surveiller les côtes d’une petite île comme Mayotte». Les Mahorais ont voté à 42 % pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, contre 35 % au niveau national.

De quoi donner honte à Archimède Ravoay, né à Kani-Kéli il y a cinquante-cinq ans et qui n’avait jamais constaté un tel déchaînement. Il y a dix jours, le directeur territorial des Ceméa, un organisme d’éducation populaire, a dû abriter chez lui une femme et son enfant, trop effrayés par les «décaseurs» pour dormir chez eux. Posé, respecté de tous, Archimède sait que son frère aîné a participé aux ratonnades. Un comble quand on apprend que leur père avait lui aussi dû fuir dans la forêt avant d’avoir «le crâne ouvert en deux» par des concitoyens mahorais. Le drame s’était déroulé peu avant 1975, date à laquelle Mayotte décida par référendum de rester française alors que les trois autres îles des Comores optaient pour l’indépendance. A l’époque, le débat opposait les «serrer les mains», favorables à l’unité comorienne, comme le père d’Archimède, et les «sorodas», partisans du rattachement à la France. Des affrontements qui ne sont pas sans rappeler «la guerre civile qui monte crescendo» aujourd’hui… Pour la CGT-Educ’Action, Mayotte serait d’ailleurs déjà sortie de l’Etat de droit. «Les milices vont chaque jour plus loin. Jusqu’à quand allons-nous accepter, dans un département français, de tels agissements ? Comment les droits fondamentaux d’êtres humains peuvent-ils être ainsi bafoués au vu et au su de tous ?» s’indigne le syndicat.

Le procureur de la République a toutefois promis l’ouverture d’enquêtes ; en 2016, une Mahoraise avait d’ailleurs été condamnée après avoir violemment expulsé une Comorienne, malgré un bail et des papiers en bonne et due forme. La délogeuse était soutenue par le «Collectif des assoiffés du Sud» (!) et le procès avait divisé la population… Aujourd’hui, la répression s’exerce avant tout envers les clandestins. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le gouvernement a nommé, fin mars un nouveau préfet, Dominique Sorain. Lequel a annoncé, le lundi de Pâques, «l’application des décisions judiciaires d’expulsion et de destruction de l’habitat illégal dès la fin de la trêve cyclonique, le 15 avril». Un zèle que dénonce l’antenne locale de la Cimade, association militant pour la défense des migrants et des étrangers. «Entre 600 et 800 personnes ont été expulsées en l’espace d’une semaine, on n’a jamais vu ça», remarque, sous son turban rose, Nouraida Aouladi, sa jeune présidente. «Une politique du chiffre» qui viserait à répondre à la pression populaire et qui entraînerait des dérapages. Il faut dire que la préfecture est confrontée à une situation inextricable.
Mesure de rétorsion

Le 21 mars, Mayotte expulse une centaine de sans-papiers, en les embarquant comme d’habitude sur le Gombessa (navire de la compagnie maritime privée SGTM, qui assure 600 rotations par an entre les deux pays) à destination d’Anjouan, leur île d’origine. Mais le gouvernement comorien refuse au navire le droit d’accoster et refoule ses propres ressortissants. Une mesure de rétorsion contre la France, les Comores dénonçant le traitement réservé aux immigrés clandestins à Mayotte. Par ailleurs, Moroni, qui revendique la souveraineté sur l’île française depuis le référendum de 1975, argue que les clandestins sont en fait «chez eux» à Mayotte, et ne peuvent en être expulsés. Le préfet se retrouve donc avec des sans-papiers bien encombrants, qu’il tente d’abord d’héberger dans un gymnase, à Pamandzi, avant de reculer face aux manifestations des riverains et des élus. Les refoulés sont alors trimballés dans la «zone de tri sanitaire» à l’hôpital de Dzaoudzi, toujours sur Petite-Terre, où se situe l’aéroport. «Les conditions étaient d’une absolue insalubrité, accuse Solène Dia, chargée de projet à la Cimade : 45 personnes étaient entassées dans deux cages, comme au zoo, dont une vingtaine d’enfants.» Depuis, les 92 clandestins restant patientent dans une «zone d’attente», attenante au centre de rétention administrative. Des locaux flambant neufs, mais des conditions encore jugées «indignes de la France» : «Une odeur nauséabonde qui s’échappe des deux toilettes», et des malades qui ne sont pas «soignés». La Cimade évoque «une petite fille qui avait un abcès au cou badigeonné de dentifrice !» Parmi les refoulés, se trouverait une mère d’un enfant français, «carte d’identité et certificat de naissance à l’appui». «Elle n’a rien à faire là, c’est scandaleux», assène l’association, qui a déposé un recours.

En tout état de cause, s’ils n’ont pas été expulsés d’ici là, l’ensemble des 92 refoulés devront légalement être libérés dans moins d’une semaine. Une mesure que de nombreux Mahorais ne manqueront pas de prendre comme une ultime preuve du laxisme de la France…

Liberation.fr

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2 commentaires sur Mayotte, l’île des traqués

  1. Exagération, vous racontez n’importe quoi. En plus, il faut bien insister sur le faite que ce ne sont pas des réfugiées politique ou qui fuit la guerre mais bien des immigrés clandestins qui n’ont rien à faire à Mayotte et que même azali n’en veut pas. Je précise bien des clandestins que même leur propre état n’en veut pas. Que vous êtes pour ou contre ce sont clandestins qui sont rentrés à Mayotte sans avoir taper a la porte. Donc c bien des voleurs. Le vrai criminel c des gens comme toi, comme l’État comorien qui s’en fiche de l’avenir de ses enfants. Mayotte est surchargé et a atteint ses limites d’accueil. Malgré tous ces humiliation que tu raconte ici pourquoi il ne rentre pas chez eux alors. Combien de fois on m’a ménacé dans ma propriété par des anjouanais, ces sauvages qui n’a aucune honte. Donc ferme ta geule et ne raconte pas des conneries.

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