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Mayotte : une île en lutte contre le chômage de sa jeunesse

Un tiers seulement de la population en âge de travailler occupe un emploi à Mayotte. Avec un taux de chômage de plus de 40% chez les moins de 30 ans, les plus jeunes sont lourdement impactés. La création d’entreprise est une des pistes envisagées pour que l’île parvienne à endiguer un chômage de masse. Dernier volet de cette série d’été consacrée au 101e département français.

La presse mahoraise l’a surnommée la « Mahopolitaine ». Ici, on se contenterait de la nommer expat’ ou ultra-marine. Mais le néologisme démontre bien la situation de cette jeune femme de 28 ans. A la fois mahoraise et métropolitaine d’adoption. Cansel Nourdine Bacar habite en région parisienne. Avant de venir s’installer en métropole avec sa mère, elle a vécu à dix-mille kilomètres, à Mamoudzou, jusqu’en 1996. Elle n’est retournée à Mayotte que l’été dernier, soit après 19 ans d’absence. Assistante parlementaire du député Boinali Said (SRC), la jeune femme a passé quelques semaines à la permanence de l’île. Aujourd’hui, elle est chargée de développement de projets au sein de l’antenne parisienne du Conseil Départemental de Mayotte, inaugurée en octobre 2014.
Si ses missions consistent -entre autres- à promouvoir et faire connaître Mayotte en métropole, Cansel Nourdine Bacar n’a pas attendu ce poste pour s’impliquer et développer des projets en rapport avec Mayotte. »La départementalisation en 2011 a été un vrai déclic. La communauté mahoraise n’était pas très présente sur les réseaux sociaux« . Elle crée plusieurs pages Facebook. Et réunit virtuellement quelque milliers de jeunes Mahorais. On y parle de l’île, de politique, de sujets pratiques pour ceux qui arrivent en métropole. Les réseaux sociaux deviennent un moyen de tisser des liens avec la jeune diaspora. Ce travail d’information et de médiation, Cansel le poursuit désormais au sein du Conseil Départemental. Il prend notamment en charge les 5000 jeunes étudiants qui arrivent chaque année pour étudier en métropole.mayotte

Les jeunes, lourdement impactés par le chômage

Mais à des milliers de kilomètres, pour ceux qui restent, l’avenir de cette jeunesse est bourrée d’incertitudes. Dans une étude publiée en février 2015, l’Insee note que le marché du travail se structure. Le taux d’emploi progresse timidement en 2014 : +1,7 point alors qu’il était resté stable entre 2009 et 2013.
Cette hausse est encore insuffisante « pour absorber l’arrivée de nouveaux actifs sur le marché du travail à Mayotte »,tempère l’étude. Par conséquent : « le chômage au sens du BIT (qui ne prend en compte que les demandeurs d’emplois « actifs ») progresse légèrement et concerne 19,6% de la population active. Avec 1100 chômeurs supplémentaires, le seuil des 10.000 chômeurs est dépassé ».
Les jeunes sont les premières victimes de cette situation. Sur les 1100 chômeurs supplémentaires en 2014, 900 ont moins de 30 ans.
« Le taux de chômage des moins de trente ans s’élève à 41,4% et augmente de +4,9 points en un an. Les jeunes femmes sont particulièrement touchées avec un taux de chômage de 46,5% contre 36,5% pour les jeunes hommes ».

La fonction publique comme seul horizon

A Mayotte, le secteur public demeure le premier employeur du département avec 37% de l’emploi salarié total. Et les autres perspectives, faute d’accompagnement, sont encore peu envisagées.
« On essaye de communiquer l’envie d’entreprendre aux jeunes. Pour l’instant leur seul horizon c’est de travailler dans des emplois publics car ils ne connaissent rien d’autre », déplore Cansel Nourdine Bacar. « Les jeunes Mahorais n’envisagent pas d’autre piste car ignorent, par exemple, qu’il existe de grandes écoles. On les met rapidement dans des cases en leur expliquant que ce sera compliqué de poursuivre des études »,poursuit-elle.
Les ambitions naissantes seraient donc immédiatement avortées. « Il y a un travail à faire pour communiquer cet esprit d’entreprise. Il faut se dire qu’il n’y a pas que le service public, et que l’entreprenariat peut aussi se faire à travers l’économie sociale et solidaire via des coopératives par exemple », martèle la jeune femme.

Création d’entreprises encore peu nombreuses

 Mohamed Abdallah, 34 ans, fait partie de cette jeune génération, désireuse de contribuer au développement économique de leur île. Il a passé dix ans chez les Compagnons du Tour de France en métropole avant de retourner à Mayotte en 2009 pour créer son entreprise de BTP. Ses trois frères suivent le même chemin, poursuivent une formation en bâtiment aux Compagnons du devoir. « Mon père travaillait dans le bâtiment, on avait l’idée de travailler tous ensemble en famille », raconte le patron, aujourd’hui à la tête d’une entreprise familiale qui emploie 25 personnes. L’exemple de cet entrepreneur est pourtant encore marginal.
Les chiffres sont quant à eux à la traîne par rapport à la moyenne nationale. D’après les données de l’Insee, le taux de création d’entreprise s’établit à 10,3 % en 2014, contre 14% pour la moyenne nationale. Après une baisse en 2013, la création d’entreprises, avec 851 entreprises nouvelles, augmente de 0,6 % en 2014 à Mayotte.
Mais des initiatives émergent. A l’instar du concours « Lance ton business-DOM création » initiée par l’Union des Couveuses d’Entreprises qui permet à de jeunes ultra-marins de se lancer dans la création d’entreprise. Via un dispositif appelé « contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE) », ces jeunes peuvent tester leur activité dans un temps donné sans pour autant perdre leur droit au chômage par exemple.
En décembre 2014, c’est George-Pau Langevin, la ministre des Outre-Mer en personne qui récompense les lauréats à Paris. « Vous montrez que le chômage n’est pas une fatalité et qu’un dispositif intelligent, mobilisant des partenaires publics et privés, peut avoir des résultats concrets », lance alors la ministre. Parmi eux, un Mahorais, Ali Papa Assoumani qui a créée une entreprise d’aménagement et dentretien de jardins et d’espaces verts pour particuliers.
De son coté, la Boutique de gestion -un organisme présent dans toute la France- aide depuis 15 ans les jeunes créateurs d’entreprises à mettre en place leur projet via un soutien technique (comptabilité, fiscalité) et une recherche de financements. Mohamed Abdallah a d’ailleurs pu bénéficier de leur soutien et recevoir des conseils en gestion pour le développement de son entreprise.

Talents inexploités

Le chemin est encore long. Et cette évolution doit aussi passer par une meilleure visibilité des Mahorais qui réussissent professionnellement. Mais jusqu’à présent, « on ne les voit pas assez car ils ne cherchent pas forcément  à se montrer« , explique la chargée de mission du conseil départemental. Certaines voix confient qu’il ne serait d’ailleurs pas forcément bien vu de mettre en avant ses diplômes, et ses succès.
Pourtant de nombreux jeunes diplômés, de retour sur l’île souhaitent s’impliquer. Pour Mahmoud Ibrahime, professeur d’histoire et spécialiste des Comores, « il faut que les gens au pouvoir acceptent de faire une place aux jeunes Mahorais, qui sont aujourd’hui en mesure d’assumer des responsabilités au plus haut niveau ».
L’absence de perspectives est également structurel. De jeunes diplômés dans des secteurs très pointus ne trouvent pas de travail ici, faute d’entreprises existantes dans leurs domaines, ou dont seul le service public a le monopole. Les jeunes sont les premières victimes de ce retard de développement. Ainsi, « un jeune diplômé d’un master spécialisé en métropole -dans un secteur qui pourrait être porteur sur l’île- a été contraint d’accepter un emploi d’avenir à 1.200 euros par mois dans un domaine étranger à sa formation d’origine », raconte une source anonyme.

Mauvaise éducation

Pour tout un pan de la société mahoraise, encore en dehors du système éducatif, le défi est immense. Le département (le plus jeune de France : la moitié de la population a moins de 17 ans et demi, contre 39 en métropole) doit avant tout travailler sur l’éducation de sa jeunesse.
En 2012, trois Mahorais sur dix n’avaient jamais été scolarisés. Et d’après l’Insee, ceux qui sont allés à l’école ne sont pas épargnés non plus, puisque 42% d’entre eux demeurent en grande difficulté à l’écrit. Voilà le vrai chantier pour que l’île puisse avoir un avenir. L’éducation a d’ailleurs été inscrite dans les six priorités du plan de développement « Mayotte 2025 ».

Sarah Belhadi / latribune.fr

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