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Pays au revenu intermédiaire, démêlons le vrai du faux

En plein tempête du mouvement de contestation pour le retour de l’Etat de droit et la démocratie aux Comores, de grève des fonctionnaires qui accusent des mois d’arriérés de salaires et des étudiants qui contestent les droits élevés à l’université des Comores, dans un contexte de chômage écrasant, les comoriens découvrent avec joie (pour le pouvoir), stupeur (pour l’opposition) et incompréhension (pour le peuple) que leur cher pays est classé dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire par la Banque Mondiale.

Promptement le Président Azali assoumani organise une cérémonie grandiose pour célébrer cette « victoire », au Retaj. Allez savoir pourquoi c’est toujours au Retaj. Comme on pouvait s’y attendre, l’Opposition dénonce immédiatement une manipulation grotesque des chiffres par le pouvoir et voit en « cette cérémonie ubuesque et indécente » un énième mépris du gouvernement pour le peuple comorien. Et justement, le peuple, lui, s’interroge. Par quel miracle les Comoriens connaissent-ils une nette amélioration de leurs conditions de vie ? Comment leur pays peut-il être classé dans la couche des pays à revenu médian avec un Etat en faillite, avec une absence criante d’activités économiques créatrices de richesse, un pays dont la population active est inférieure à la population inactive, avec une précarité crasseuse dans beaucoup de coins des îles, un pays dont les routes sont des sentiers indignes, l’électricité ténébreuse, dont les hôpitaux sont malades, un pays qui ne produit rien, qui importe tout, une économie sous perfusion de l’aide extérieure et de l’apport considérable de sa diaspora ? Beaucoup d’interrogations légitimes. Dans ce vif débat, comment reconnaître le vrai du faux ? Essayons d’aller au-delà de la polémique et du rejet du gouvernement pour bien comprendre ce qui se passe.

Rappelons-nous que la Banque mondiale classe les économies des pays en quatre groupes : les pays à revenu élevé, les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et les pays à faible revenu. Vulgarisons : pays développés, pays émergents, pays en voie de développement et pays pauvres.

Tous les ans, au mois juillet, la Banque mondiale actualise donc sa classification. Cette actualisation repose sur les estimations du revenu national brut (RNB) par habitant pour l’année précédente. Ainsi, au 1er juillet 2019, les critères qui nous intéressent sont les suivants : un RNB par habitant compris entre 1 026 et 4 035 dollars définit les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure tandis qu’un RNB par habitant compris entre 4 036 à 12 475 dollars définit les pays à revenu intermédiaires de la tranche supérieure.

C’est ainsi qu’en ce juillet 2019, les Comores changent de catégorie : de pays à faible revenu (avec un RNB par habitant de 760 dollars), il a fait un incroyable bond pour monter en deuxième division et ainsi intégrer le club des pays à revenu intermédiaire, de la tranche inférieure, certes, avec un PNB par habitant de 1320 dollars.

Le journaliste engagé Abdallah Abdou Hassane alias Agwa dénonce avec sa véhémence légendaire « la supercherie » de ce classement. Est-il vrai que chaque comorien est capable d’avoir 1 026 dollars par an (918.81 euros, presque 500 000 kmf) ? Agwa, que je respecte beaucoup, a raison de se poser cette question, mais Agwa, dont j’admire le combat et le courage, oublie qu’ici on parle de moyenne. Très importante la subtilité. Je prends un exactemnt simple. Nous formons une association de 10 individus ; nos recettes s’élèvent à 5 millions de francs ; cela veut tout simplement dire que statistiquement, en moyenne, le revenu de chacun est de 500 000 fc. Est-ce que ça veut dire que chaque membre est capable d’avoir 500 000 fc ? Pas forcément. Si on décortique les chiffres individu par individu, on peut se retrouver face à des disparités criantes, 3 personnes peuvent gagner les 5 millions en question.

Pour comprendre par quels mécanismes nous sommes passés d’un pays pauvre en pays en voie de développement, nous devons se pencher de plus près sur les concepts mis en application. Le terme de pays à revenu intermédiaire renvoie à la typologie de classement des pays par la Banque mondiale en fonction de leur revenu national brut (RNB) par habitant.

Le RNB est une valeur à ne pas confondre avec le PIB (produit intérieur brut). En effet, le RNB correspond à la somme des revenus (aides, salaires et revenus financiers) perçus, pendant une période donnée, par les agents économiques nationaux. Il s’agit en quelques sorte de la production annuelle de richesses créées par les habitants d’un pays, que cette production se déroule à l’intérieur ou à l’étranger. Le RNB inclut donc les produits nets provenant de l’étranger (aides financières, biens, transferts d’argent, taxes douanières, etc). Le terme « national » ici renvoie à la « nationalité » (les comoriens de l’intérieurs et les expatriés) , et non pas au territoire. Le PIB, lui, est basé sur le principe de « territorialité », la valeur totale de la « production de richesse » effectuée par les agents économiques résidant à l’intérieur de ce territoire (entreprises, administrations publiques). Vulgarisons : PNB renvoie à des « recettes » et PIB à de la « productivité ». C’est ainsi qu’un pays qui ne produit rien peut se retrouver avec des recettes conséquentes venant d’ailleurs. Avec une hausse des taxes douanières à hauteur de 50 %, il n’est pas étonnant que les recettes enregistrées en 2018 aux Comores soient elles aussi augmentées de 50% pour permettre en partie ce rebond « miraculeux » du PNB.

Moi, Youssouf Ibrahim, sans cautionner la mascarade électorale du 24 mars 2019, sans légitimer le pouvoir de fait du colonel Azali Assoumani, je suis d’avis que statistiquement les Comores font partie des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure.

Ce classement est naturellement assez fragile. Le terme « pays intermédiaire » ne veut pas dire que nous avons une croissance assez forte et solide pour engendrer le début d’un rattrapage économique des pays émergents. C’est juste une espèce de fourre-tout pour tout ce que les économistes politiques du développement ne peuvent pas encore qualifier avec clarté, un euphémisme pour ne pas dire pays moins pauvres. Nous ne sommes pas un pays pétrolier – pas encore –, nous ne sommes pas un pays atelier, il y a une extrême diversité dans notre pays, le terme pays intermédiaire ne doit pas être un nouveau slogan miroir aux alouettes et nous voiler la face sur l’extrême pauvreté de beaucoup de Comoriens.

Bravo, tu as lu jusqu’au bout ; tu fais comme moi partie des irréductibles lecteurs dans un monde dominé par la civilisation de l’images. La patience et l’intelligence sont en toi

Par Youssouf Ibrahim

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1 commentaire sur Pays au revenu intermédiaire, démêlons le vrai du faux

  1. Je ne sais pas pourquoi vous aimez apporter de la lumière dans le néant. On peut éclairer une pièce, et cela aura de l’effet. Quand c’est le néant que vous éclairer car il n’y a aucun support, vous perdez votre temps. Nous sommes au même niveau que le Sénégal, très bien, donnez moi le nom d’un étudiant sénégalais venu étudier chez nous? Donnez moi la liste des Mauriciens, des Kényans, des Tanzaniens qui viennent se soigner chez nous? Pourquoi Keneth a fait moins de dégât chez nous? Par ce que nous manquons d’infrastructure. Pourquoi les 1000 tremblement de terre enregistrés à Mayotte n’ont pas causé de dégât? Par ce que nous n’avons pas d’immeubles à Mayotte. L’union des Comores reste encore un pays pauvre qui a besoin de la solidarité internationale dans tous les domaines. Actuellement les enfants vont à l’école grâce à la Diaspora. Des grands malades ont recouvré la santé grâce encore à la Diaspora. Malheureusement, la Diaspora, à force de vouloir satisfaire les compatriotes au pays, oublie ses propres ayant droits, vivant en France ou ailleurs. Cela doit cessé car la charité bien ordonnée commence par soit même.

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