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Pour les Comoriens, Mayotte c’est chez eux !

Les Comores sont à Mayotte ce que l’Afrique est à Lampedusa.

La crise continue à Mayotte, cette île de l’Océan Indien qui est aussi le 101ème département français. Vu de France et de Mayotte, la crise est due à l’émigration massive et illégale venue des Comores voisines. Inversons la perspective dans « le monde à l’envers » et regardons le sujet depuis les Comores.

Evitons tout malentendu : il ne s’agit pas de nier les inquiétudes des Mahorais, les habitants de Mayotte, face à une insécurité croissante et une immigration incontrôlée.

Mais on comprend mieux cette crise si on la regarde aussi à l’envers. C’est un peu comme de regarder l’afflux des migrants en Méditerranée du point de vue africain. Mayotte est à la France ce que Lampedusa est à l’Italie.

Sur les 370 km2 de l’île (moins que Paris et sa petite couronne), près d’un habitant sur deux n’est pas français, et dans leur immense majorité, ces étrangers viennent des Comores : plus de 110.000 personnes.

Tous sont arrivés en traversant une partie du canal du Mozambique, qui sépare l’Est de l’Afrique de la grande île de Madagascar. C’est là, en plein milieu, que se trouvent Mayotte et les Comores.

La traversée s’effectue à bord de bateaux de pêche, les kwassa kwassa. Vous vous souvenez peut-être de la formule déplacée d’Emmanuel Macron sur le sujet, lâchant « les kwassa kwassa pêchent peu, ils ramènent du Comorien ». Déplacée, parce que cette traversée est dangereuse, comme vers Lampedusa : elle a fait, depuis 20 ans, entre 10.000 et 20.000 morts.

Le parallèle avec Lampedusa va plus loin. Comme l’Europe avec le dispositif Frontex en Méditerranée, la France a durci l’accès à Mayotte.

Politique de visa restrictive. Moyens sécuritaires accrus : radars, navires, hélicoptères. Avec en bout de chaine des expulsions en série.

Mais comme à Lampedusa, ça ne dissuade pas les candidats à l’exil. Ça les conduit juste à prendre plus de risques : traversées de nuit, entassés à 40 dans des barques pour 5 personnes, à des tarifs insensés, 300, 400€ !
La revendication des Comores sur Mayotte

Là où ça se complique encore davantage, c’est que pour les Comoriens, Mayotte c’est chez eux !

Et là c’est une grosse différence : les Africains (ou les Syriens) qui arrivent à Lampedusa ne prétendent pas que c’est chez eux. En revanche, pour les Comoriens, Mayotte c’est la maison.

Retournons en classe : Histoire et Géographie !

Géo d’abord, là c’est simple : les Comoriens ont raison. Comores, ça vient de Kamar en arabe (ça veut dire la Lune), et c’est un archipel de 4 îles, les 4 îles de la Lune : la Grande Comore, Moheli, Anjouan et… Mayotte !

200 kms, c’est la distance maximale de l’une à l’autre des îles. 70 kms seulement entre Anjouan et Mayotte, d’où la traversée en bateau. Et de nombreuses familles sont éparpillées entre les 4 îles.

Histoire ensuite : là c’est un peu plus compliqué.

De la fin du 19ème siècle à 1975, les 4 îles de l’archipel sont sous contrôle français.

Un référendum sur l’indépendance est alors organisé : le oui l’emporte sauf à Mayotte.

Les 3 autres îles deviennent indépendantes et forment les Comores, Mayotte reste française.

Mais du point de vue comorien, la France n’a pas respecté sa parole : le oui l’ayant globalement emporté, il aurait dû s’imposer dans les 4 îles. Donc depuis les Comores revendiquent la souveraineté sur Mayotte et à plusieurs reprises, l’Assemblée Générale de l’ONU leur a donné raison.
13 fois moins riches qu’à Mayotte

Cela dit évidemment, ils émigrent surtout pour des raisons économiques. Mais là aussi il faut examiner leur point de vue pour comprendre.

Il y a l’instabilité politique. Les coups d’Etat ont été nombreux, avec, soit dit en passant, l’implication à plusieurs reprises dans les années 70 et 80 du mercenaire français Bob Denard.

Aujourd’hui encore, le pays est dirigé par un ancien militaire putschiste et les 3 îles sont divisées.

Et surtout il y a en effet la situation économique.

Le PIB par habitant est l’un des plus faibles au monde : 13 fois moins élevé qu’à Mayotte ! 13 fois moins ! L’espérance de vie est de 60 ans, 76 à Mayotte.

Un habitant sur trois n’a pas l’électricité. Ajoutons des routes peu nombreuses, des hôpitaux en mauvais état, Internet quasi absent. Et une dépendance économique totale à 3 produits : la vanille, les clous de girofle et l’ylang-ylang, vous savez cette plante aromatique.

Pourtant il y a du potentiel : de probables gisements offshores de gaz et de pétrole et … le tourisme ! Mais les plages sont inexploitées : seulement 25.000 touristes l’an dernier, 1 million à titre de comparaison sur l’île Maurice un peu plus à l’Est.

En résumé : vouloir arrêter l’immigration sauvage à Mayotte, c’est logique mais c’est un peu illusoire tant que les Comores voisines n’auront pas les moyens de se développer.

Jean-Marc Four
Chroniqueur/Franceinter

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