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Une militante de l’émancipation de la femme comorienne est décédée

Mtaoikali Mkouboi. Une militante de l’émancipation de la femme comorienne (1976-80).

C’est avec une grande tristesse que je viens d’apprendre le décès d’une icône de la femme comorienne Mtaoikali Mkouboi Abdoulkahar de Mbeni, survenu à Mombassa au Kenya le mardi 16 février. Cette maman généreuse est une des grandes dames militantes de la première heure de la cause féminine dans notre pays.
Je me suis entretenu avec elle à plusieurs reprises dans le cadre de mes travaux de recherches universitaires qui remontent à avril 2013. Nos discussions portaient sur son militantisme dans le mouvement Ukintsi-Uwo de Mbeni, créé fin 1976 par des enseignants militants du mouvement Msomo wa nyumeni ou « Culture Nouvelle » tels que feu Mohamed Siradji Mohamed Mouhssine et feu Nassur Mohamed Lali qui ont, eux aussi, nous ont quitté, il y a de cela quelques mois.

Le mouvement Msomo wa nyumeni et ses associations affiliées avaient comme objectif de forger, de faire connaître et de diffuser l’identité culturelle comorienne à travers la valorisation de la culture et du patrimoine national à travers des manifestations des danses folkloriques, des théâtres, des expositions sur l’artisanat, etc. Ces associations formées en grande partie par les jeunes scolarisés, estimaient, en effet, que durant la colonisation l’identité culturelle et l’histoire des Comores restaient méconnues ou négligées. Ainsi, l’écho qu’a pris les idées du Msomo wa nyumeni a poussé les jeunes lycéens militants à la « nouvelle » culture de créer leurs propres associations culturelles respectives dans leurs localités. Plusieurs associations ont vu le jour notamment dans les chefs-lieux des Comores à l’instar de l’UFAC de Moroni, l’association culturelle Ukintsi-Uwo l’Associatiogn de Rénovation Culturelle (ARC) de Mitsamihuli, Mitsoudje, Foumbouni, Kwambani, etc., dans les îles d’Anjouan et Moheli.
A Mbeni, Mtaoikali Mkouboi et ses amies mesdames Touma Ben Charafa, Touma Hassani, Juliette, Touma Razida, Latufa Toiha, Mwana-Tcheya et bien d’autres, sont les premières jeunes filles à militer pour le mouvement culturel Ukintsi-Uwo. Les activités culturelles s’organisaient autour de la revalorisation des danses traditionnelles et la mise en scène des pièces théâtrales. De 1976-1979, l’Ukintsi avait aussi ouvert une école d’alphabétisation pour former les jeunes filles qui n’ont pas connu l’école française. Un grand nombre de femmes a tiré profit de cet enseignement dispensé au foyer de l’association musicale Ihwani swafa. Des activités de travail champêtre (ulimiyana) ont été, en outre mises en place ainsi que la construction des habitats (huwashiyana).
L’ambiance qu’avait pris l’association Ukinsti a permis à ses militantes de faire adhérer plusieurs jeunes filles de la ville et de la région de Hamahamet dans leur mouvement. Elles étaient également en contact avec d’autres militantes des associations du Msomo wa nyumeni d’autres localités qui menaient la même lutte.
Cette première génération marque par ailleurs, l’histoire de l’émancipation de la femme comorienne, puisqu’on sait très bien le risque que prenaient ces jeunes filles dans une période où le poids des traditions pesaient sur le quotidien : Plusieurs jeunes filles surtout les aînées à l’instar de ma mère Fatima Chaehoi n’avait pas droit à l’enseignement scolaire, n’en parlons plus participer ou militer dans des associations culturelles mixtes, organisant des danses traditionnelles et d’autres manifestations culturelles. Le sort réservé aux filles de « bonnes familles » dites filles de la « niche » ou mwana zidakani, était d’accomplir le grand-mariage pour l’honneur de la famille.

A Mbeni, à cela s’ajouta l’influence de la puissante association Djammiyyat at tadhwamun al Islamiyya qui ne voyait de bon œil toute activité festive où se retrouvaient réunis hommes et femmes. Ce mouvement lutte surtout contre le mouvement révolutionnaire de l’Association des Stagiaires et Etudiants Comoriens (ASEC) et ses associations affiliées au Msomo wa nyumeni, qui prônaient une idéologie émancipatrice de la femme comorienne […].
Mtaoikali Mkouboi m’a remis une lettre qui date de 1981 qu’elle l’avait reçu de Ahmed Wadaane Mahamoud, un des compositeurs de la chanson révolutionnaire et patriotique de l’ASEC en France. Cette lettre envoyée à l’occasion du nouvel an, porte une le symbole de « la marche vers la révolution ». Le sujet était de prendre des nouvelles des militants de mouvement révolutionnaire et de la situation politique dans l’archipel. Plusieurs photos remis par des anciens membres du Ukintsi montrent Mtaoikali au premier rang dans les manifestations révolutionnaires et culturelles.
Parmi les activités culturelles, la mise en scène de pièce théâtrale dont Mtaoikali Mkouboi prenait part en tant qu’actrice. Dans une pièce théâtrale écrite et scénarisée par feu Siradji Mohamed Mouhssine intitulée « Dindi-Mafura » dont Abdourahim Mbaye jouait le rôle du personnage principal, Youssouf Hassani jouant le rôle de « Mtsana-djuwa » le fils de Mze Dindi-Mafura. Sa femme, Mdzadza Monandro par Mwana-Tcheya et sa fille Monandro interprétée par Mtaoikali aux côtés de Mradabi, son petit frère dans la vie et dans la pièce, qui jouait le rôle du petit Mbiha Mbima. Le thème de cette performance théâtrale est la protection de l’environnement et la lutte contre la déforestation […].
Ces jeunes filles ont bénéficié d’une certaine tolérance de leurs mères dans la participation aux manifestations culturelles. Ceci a permis à ces militantes de ne plus s’inquiéter par les traditionnalistes et notables villageois dans une époque où les manifestations culturelles mixtes passaient très mal aux yeux de la société […].
En 1982, Mtaoikali faisait partie des rares jeunes qui ont osé soutenir Soimadou qui est rentré de France et qui s’est présenté contre Mohamed Taki aux législatives. Sa mère avait confisqué sa carte d’électrice pour l’empêcher de voter pour Soimadou. Mtaoikali se cachait pour aller au meeting des premiers candidats du Front démocratique.

Mtaoikali a passé toute sa jeunesse dans ce mouvement culturel révolutionnaire. Elle me confia, lors de nos entretiens, qu’elle ne regrettait rien de son militantisme dans ce mouvement culturel, puisque cette expérience lui a permis de forger son identité d’elle-même en tant que femme, de s’épanouir culturellement et intellectuellement, mais surtout d’apprendre le travail de groupe, et améliorer son savoir-vivre. Cette expérience a eu aussi un impact positif dans leurs intégrations sociale et professionnelle dans une société encore très dominées socialement et professionnellement par les hommes : Elle était toujours ravie de voir que ces paires étaient toujours en activité. A titre d’exemple madame Touma Razida, administratrice et greffier auprès du Cadi et de l’état-civil de Mbeni, Latufa Toiha en poste à la Mairie de Paris, Juliette, infirmière à l’hôpital de Mbeni, Fatima Said et bien d’autres anciennes militantes, qui ont intégré l’administration. Et elle-même, co-gérante du CVP, cette entreprise de valorisation des plantes locales, de production de vanille et d’huiles essentielles notamment d’ylang-ylang, qu’elle dirigea aux côtés de son mari, l’ancien ministre Hassani Assoumani, jusqu’à son terrible accident domestique survenu le 14 janvier dernier.
Mtaoikali Mkouboi est une des personnalités dont l’histoire de la femme comorienne n’oubliera pas. L’histoire n’est pas seulement le produit des hommes, elle est aussi faite par des femmes courageuses qui ont osé pour une cause noble.

« L’histoire dira un jour son mot »
Reposes en paix maman Djeem !

Par ABDOU NOUHOU Badroudine
Historien

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