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"Xi Jinping est plus réaliste et moins dogmatique que ses prédécesseurs"

Le nouveau président chinois Xi Jinping.

Xi Jinping a succédé à Hu Jintao à la tête du Parti communiste chinois, et donc de la Chine, jeudi 15 novembre. François Bougon, journaliste au Monde, estime dans un chat au Monde.fr que le nouveau maître du pays « a montré beaucoup plus de charisme que Hu Jintao », évoquant « à plusieurs reprises les préoccupations quotidiennes des gens ». Pour autant, sa position en matière de politique intérieure et de relations internationales devrait se situer dans la continuité de son prédécesseur.

P. D. : Pourquoi Xi Jinping a-t-il été désigné président de la République et Li Keqiang premier ministre ?

François Bougon : Cette décision avait été prise depuis 2007, lorsque les deux hommes sont entrés au comité permanent du bureau politique. Dans l’ordre hiérarchique, à ce moment-là, Xi Jinping a devancé Li Keqiang, et est donc devenu le successeur potentiel de Hu Jintao. Il a été préféré à M. Li, car il a su fédérer les différents courants du Parti communiste, les groupes d’intérêts et les militaires.

Romain : Est-ce que l’élection du nouveau président chinois change le rapport de force au sein du Parti communiste chinois ?

François Bougon : On peut tirer plusieurs constats de la nouvelle composition du nouveau comité permanent du bureau politique. Globalement, les réformateurs sont peu présents, les « princes héritiers » sont assez représentés, et on note également une influence de l’ancien président Jiang Zenin.

Pour les observateurs, ce comité permanent est considéré comme « conservateur ». Mais il reflète bien l’état actuel des forces au sein du Parti communiste.

Jean-paul : La défaite de Bo Xilai signifie-t-elle qu’une ligne populiste (ou « maoïste ») a été vaincue ? 

François Bougon : La ligne néomaoiste représentée par Bo Xilai a subi un coup presque fatal avec son limogeage, mais cela ne veut pas dire pour autant que les questions qu’il soulevait, notamment sur le côté inégalitaire de la croissance économique, ont disparu.

Maxiaowei : Comment la population chinoise accueille-t-elle ces changements au sein du PCC ? Quelle est l’ambiance actuelle à Pekin ?

François Bougon : A Pékin, il y a une ambiance assez particulière. Il y a eu un renforcement de la sécurité à l’occasion du 18e congrès. Globalement, il y a un décalage entre les préoccupations quotidiennes des Chinois et tout le cérémonial du congrès du Parti communiste. La majorité de la population ne s’intéresse guère à la politique puisqu’elle ne peut pas y prendre part. Par contre, ce que l’on remarque, c’est qu’il y a beaucoup de commentaires critiques sur les « weibo », les microblogs chinois.

Julie : Quels sont les principaux thèmes qui ont été mis en avant pendant le congrès du PCC ?

François Bougon : Il y a énormément de thèmes qui ont été abordés. Le Congrès, c’est en effet une manière pour le régime de mettre en avant ses réalisations, via un appareil de propagande assez lourd. Le thème général était « le développement scientifique », le concept développé par Hu Jintao, le secrétaire général du Parti communiste sortant.

L’idée principale de ce concept, c’est que la Chine ne peut plus continuer à se développer économiquement comme elle s’est développée depuis trente ans, avec un modèle basé sur les investissements publics et une économie tournée vers l’exportation.

Les autres thèmes sont des thèmes classiques depuis plus de dix ans. Ce sont les efforts pour lutter contre les inégalités sociales et contre la corruption.

Jean-paul : La corruption des dirigeants est sans cesse mise en avant comme une menace mortelle pour le PCC. Elle avait déjà, en son temps, bien affaibli le Guo Min Dang. Les nouveaux dirigeants ont-ils les moyens et la volonté d’en sortir ?

François Bougon : Officiellement, dans les discours, c’est un thème qui est présent depuis très longtemps. Hu Jintao, et aujourd’hui Xi Jinping dans son discours, soulignent que la corruption est un danger pour leur parti. Cependant, ce que l’on constate dans les faits, c’est que la corruption continue toujours à sévir en Chine.

Ahmadou LY : Bien que la Chine affiche des taux de croissance relativement importants, on note que des poches de pauvreté sont omniprésentes. Qu’est-ce que le Parti a décidé pour ces laissés-pour-compte ?

François Bougon : La politique affichée du Parti communiste et de Hu Jintao était d’équilibrer la croissance pour qu’elle puisse profiter également à des populations défavorisées, comme les ouvriers émigrants. Dans les faits, cependant, cette croissance a plutôt profité à des secteurs de la population qui sont proches du Parti ou à des groupes d’intérêts qui dépendent du Parti, comme les grandes entreprises d’Etat. Le défi de Xi Jinping sera de développer l’économie privée et la consommation intérieure.

Jean-paul : Y a-t-il eu des signes que le statut des Mingong – ouvriers migrants – va évoluer ?

François Bougon : Cela fait des années que certains secteurs de la société militent pour la fin du système de résidence, le fameux hukou (un permis de résidence qui permet aux habitants des villes de bénéficier d’un certain nombre de droits et de services auxquels les ouvriers émigrants n’ont pas accès). 

Il y a eu des réformes dans certaines villes qui ont assoupli ce système mis en place par Mao dans les années 1950 pour éviter un exode rural massif, mais le gouvernement refuse d’abolir ce système.

Matthieu : Avec ce changement de président, la politique chinoise peut-elle évoluer sur la question des territoires contestés comme le Tibet ou les îles Senkaku ?

François Bougon : Non, je n’y crois pas beaucoup. Pour la Chine, c’est une question stratégique, ce qu’ils appellent « les intérêts vitaux ». Et donc, on a du mal à imaginer un changement de politique parce qu’il y aurait un nouveau secrétaire général du Parti communiste. Sur ces questions, on ne peut pas s’attendre à de grands changements. 

EricP : Peut-on espérer une progression de l’Etat de droit avec une indépendance de la justice ?

François Bougon : C’est une question qui se pose depuis la fin de la révolution culturelle en Chine. Il y a eu des avancées, mais le système judiciaire continue à dépendre du pouvoir politique.

Pendant les dix ans de mandat de Hu Jintao, on a pu constater malheureusement un recul sur cette question du respect de l’Etat de droit. Ce sont plutôt les policiers qui ont profité d’un resserrement du régime et les avocats, qui ont tenté de défendre le droit, ont subi toutes sortes de tracas.

Prochine : A quand la fin de la peine de mort ?

François Bougon : Il y a eu une volonté du régime de diminuer le nombre de condamnations à la peine de mort. Aujourd’hui, la Cour suprême a de nouveau le dernier mot en matière de peine de mort, alors qu’avant, c’étaient les provinces qui avaient ce droit. Il en résulte une diminution d’erreurs judiciaires. Toutefois, la suppression de la peine de mort n’est pas d’actualité.

Will : Peut-on espérer de la part des nouveaux dirigeants un assouplissement des mesures rectrictives envers des dissidents tels Ai Weiwei ou Liu Xiaobo?

François Bougon : Il y a une attente dans un certain nombre de secteurs de la population d’une plus grande liberté et d’une réforme politique. Il y a quelques mois, Xi Jinping a rencontré le fils du dirigeant réformateur Hu Yaobang, ce qui a suscité un espoir au sein de ceux qui appellent à plus de réformes politiques en Chine. Le fils de Hu Yaobang a publié, juste avant le congrès dans un journal officiel, un grand article où il appelait le régime à mener non seulement des réformes économiques mais aussi politiques.

Ahmadou LY : Qu’en sera-t-il de la liberté de la presse et plus largement des libertés individuelles ?

François Bougon : Il est encore trop tôt pour le dire. Ce qui est sûr c’est que beaucoup de secteurs de la Chine souhaitent une plus grande liberté de parole, de la presse et la fin d’un régime où les médias sont totalement contrôlés. Mais il est encore trop tôt pour dire si Xi Jinping sera celui qui permettra une plus grande liberté de la presse et un respect plus grand des libertés individuelles.

Lucas : Comment appréhender la politique internationale de Xi Jinping ? Y a-t-il des divergences avec son prédécesseur ? A-t-il étudié à l’étranger ?

François Bougon : Il n’a pas étudié à l’étranger, mais il s’est rendu aux Etats-Unis en 1985 à la tête d’une délégation agricole quand il était cadre dans la province du Hebei. En tant que vice-président du PPC, il a par ailleurs effectué beaucoup de voyages à l’étranger. Sa fille a par ailleurs étudié aux Etats-Unis.

Mais de là à considérer qu’il aura une autre politique étrangère, c’est très difficile à dire. De toute façon, le système chinois est un système de direction collective et ce n’est pas Xi Jinping lui-même qui pourra décider de la politique étrangère chinoise.

Quelle relation pourra-t-il entretenir avec l’Union européenne ?

François Bougon : Il y aura sans doute une continuité. Avec la crise en Europe, les Européens sont de plus en plus preneurs d’investissements chinois. La Chine a toujours su profiter des divisions européennes pour faire avancer ses intérêts. La crise n’a pas arrangé cette situation. Et Xi Jinping devrait continuer cette politique.

Ernesto : Les relations avec les Etats-Unis vont-elles changer ? Ainsi que celles avec la Corée du Nord ?

François Bougon : Les relations Chine–Etats-Unis vont rester les mêmes, toujours entre conflits et coopération. Sur la Corée du Nord, la Chine ne devrait pas changer sa position. Elle va continuer à soutenir Pyongyang, tout en poussant le régime nord-coréen à reprendre les négociations sur le dossier nucléaire.

Matthieu : Au final, Xi Jinping peut-il vraiment marquer une rupture avec la politique de Hu Jintao ?

François Bougon : Ce que l’on peut voir, au vu de son premier discours, c’est un style nettement différent. Il a montré beaucoup plus de charisme que Hu Jintao. Son discours évoquait à plusieurs reprises les préoccupations quotidiennes des gens. C’est un langage beaucoup plus naturel que son prédécesseur. Il reste à voir si cette différence dépassera cette question de style.

Il appartient à une génération, celle des « jeunes instruits » qui ont été envoyés à la campagne par Mao, dans les années 1960. Ils sont beaucoup plus réalistes et moins dogmatiques que leurs prédécesseurs.

Lucas : Y a-t-il une prise de conscience du PCC concernant la question environnementale ? La pollution continue d’atteindre des niveaux records dans certaines régions. On sait que les autorités chinoises ont commencé à développer un embryon de droit de l’environnement via des systèmes de malus. Qu’en est-il d’une éventuelle transition énergétique en Chine ? Faut-il attendre une prolifération de l’énergie nucléaire ?

François Bougon : Officiellement, l’ambition affichée du régime est d’aller vers un système beaucoup moins consommateur d’énergie et plus respectueux de l’environnement. Il doit tenir compte d’une position croissante des populations locales, comme on l’a vu récemment lors de manifestations à Ningbo contre un projet d’usine chimique. Dans la progression de la carrière de cadre, le facteur environnemental est de plus en plus pris en compte pour sa promotion. Sur le programme nucléaire, il y a effectivement un objectif de se doter d’un vaste réseau de centrales.

Diabaram : Des signes de fragilité (sociale, économique, démographique, militaire…) de cet empire mastodonte sont-ils décelés, à l’instar de l’URSS à l’aube de la révolution dans les années 1980 ?

François Bougon : La comparaison avec l’URSS est totalement inappropriée. On a des signes de fragilité, un certain ralentissement économique, mais globalement l’économie fonctionne avec des taux de croissance encore relativement élevés. Malgré tout, la crise, en particulier la crise européenne, a un impact sur l’économie chinoise, qui reste encore très dépendante des exportations.

Chat modéré par Audrey Garric

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