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​Said Ahamada Mbaé, une vie au service des autres 

Au moment où le militant de l’indépendance Said Ahamda Mbaé nous quitte, j’ai une pensée pour le jeune homme précoce ayant découvert  tôt, depuis  sa campagne natale, la mission de sa génération. Et qui ne s’est pas arrêté au seul fait d’avoir conscience de son devoir  mais  qui s’est efforcé d’agir dans le sens de son rêve de liberté en se disant sans doute que l’avenir ne s’écrit pas de lui-même. Sans avoir eu le temps d’apprendre les sciences physiques à l’école, il en avait compris de lui-même un principe de base qu’on oublie volontiers par ici  : il n’y a pas de mouvement sans force. 

En ces années 70, un jeune homme de nos villages qui sait lire et écrire le français cherche un emploi de commis, gagne un peu d’argent, se fait discret et revient au village le dimanche pour faire le beau avec des pantalons à pattes d’éléphant. Rien n’est alors plus dangereux que de prétendre  s’intéresser au « siyassa » et de remettre en cause l’ordre civilisateur de l’homme blanc censé diriger les Comores jusqu’à la fin siècles.
Le discours de la libération, c’était du feu
Se frotter au « Mkolo »  était le moyen le plus sûr de se faire ficher par la police, d’être identifié comme un « rouge » avec les conséquences dramatiques que cela pouvaient entraîner. Rien de comparable donc avec , par exemple, les membres de la « Jeunesse Mamadou » licenciés  pour cause de changement de majorité. Je vous parle ici d’une mise en quarantaine implacable et sans pitié assaisonnée de passages à tabac réguliers et qui vous prive de toute perspective. 


Chacun savait  donc que, pour attrayant qu’il fût,  la discours de libération c’était du feu qui brûlait  plus vite que les feuilles de cocotiers séchées. Et qu’il valait mieux le laisser à ceux qui avaient des filets de sécurité…( Les enfants de l ‘élite)
Mais ce ne sera pas le cas de Said Ahamada Mbaé. Il sait qu’il existe des patriotes qui veulent libérer le pays. Il sait qu’un instituteur du nom d’ Aboubacar Boina en est le leader quelque part. Et il décide d’être de la partie.
D’autres noms passeront à la postérité 
Il se retrouve donc rapidement  à Dar-Es-Salam  avec d’autres camarades dont Ali Toihir ( Kéke)  aux côtés d’autres militants africains aux destins variés. Certains seront liquidés par des services des puissances occidentales comme Roberto Holden, d’autres noms passeront à la postérité comme dirigeants :  Samora Machel, Agositno Neto, Robert Mugabe, J. Nkomo, Oliver Tambo, pour ne citer que quelques jeunes gens engagés à refaire  le monde à partir de  Dar- es -Salam, vue alors comme  un îlot de liberté dans un océan d’oppression. 

On aurait du mal aujourd’hui à se représenter les risques pris par des jeunes Comoriens francophones émigrés  en Tanzanie se mélangeant avec les  leaders rebelles d’autres pays  dans le contexte de la guerre froide où la liquidation physique des opposants africains est un fait banal.
Lorsque le gouvernement tanzanien accorde une plage horaire au Mouvement de Libération Nationale des Comores (Molinaco) , le jeune homme de Bangoi-Kouni donne de la voix, dénonçant en détail les méfaits  de la politique de « Mlapuhu ».  Said Ahamda Mbaé était alors La Voix du Molinaco.
A l’heure du 4 G et de facebook, les jeunes ne peuvent  pas comprendre  ce que c’était d’entendre un transistor  grisaillant annoncer : « Hunu Dar es Salam, wo wa komor ngwa rongozawo wo wakomor »
Après l’indépendance, il  comprend  vite que le régime d’Ali Soilih, malgré ses excès, est un grand moment. Il décide de l’accompagner en tant que  directeur de la radio et « journaliste engagé aux côtés des masses laborieuses » comme on disait l’époque.
Une radio de proximité 
Il contribue  par ses émissions à l’analyse de la situation sans complaisance.  Tous ceux qui étudient l’histoire de cette période aujourd’hui sont frappés par le succès que rencontrait alors la station de radio nationale, qui était alors « descendue de son piédestal  de l’ORTF » pour  devenir une radio  de proximité dynamique et (déjà) interactive avec, en toile de fond, l’effort constant de réhabiliter notre langue.
En vérité, le mérite de ce succès attribué abusivement à Ali Soilih revient à  Said Ahamada Mbaé, qui mettait en œuvre des connaissances acquises à Radio Tanzania en glorifiant la langue locale, unique vecteur capable de transmettre « notre vision du monde en tant que Comoriens ». Il  forme  des jeunes qui s’affirmeront plus tard comme des grands noms de la station nationale.
Il jette une lumière crue sur les problèmes  structurels et séculaires qui handicapent ce pays : le chauvinisme, wo upwaru, la ségrégation à l’égard des femmes,  les inégalités sociales, les relations du couple ville-campagne, le népotisme, les fonctionnaires  « au double traitement », le vol des biens publics, l’oisiveté, l’école inadaptée  (malifu).
Il  amplifie les solutions proposées par Ali Soilih  dans le sens de démocratiser la vie des Comoriens, les lester de la grande pauvreté et des pesanteurs héritées d’un autre âge révolu à jamais.
Non contents  d’avoir assassiné Ali Soilih en détention
Enfant puis jeune homme, je connaissais de loin cet homme à la voix et à la pédagogie uniques comme tous ceux de ma génération et celle de nos parents. Mais je n’ai pu le  rencontrer que  dans la deuxième moitié de sa vie par hasard.  

Il avait quitté la prison. Soit dit en passant,  on oublie trop facilement que certains des hommes politiques comoriens, qui se sont promus actuellement donneurs de leçons  de démocratie et qui critiquent  à tout-va les jeunes générations, ont été en réalité des tortionnaires. Rien de moins. Non contents d’avoir fait assassiner Ali Soilih en détention, ils avaient entrepris de briser tous ceux qui pouvaient penser qu’il y avait quelque chose à prendre  dans ce qu’ils appelaient « la période noire ». C’est ainsi que  le journaliste Said Ahamda Mbaé a été jeté en prison sans autre forme de procès. 
Il était donc  en train de refaire sa vie, venait d’épouser une jeune femme  de Mitsamiouli, la merveilleuse Mme Anchoura.
Nous sommes  en terminales en 1981…L’internat  avait été  supprimé pour faire plaisir au FMI et à la Banque mondiale.  En tant que jeunes ruraux, nous étions donc un peu perdus  à  Moroni…Avec deux autres amis dont il connaissait les parents, nous le rencontrons par hasard à Caltex… Il se produit alors un miracle. Sans raison apparente, cet homme  décide de nous venir en aide et de nous soutenir effectivement  tout le reste de l’année, mes deux amis et moi. Et, il l a fait. 
Pourtant, il n’était pas riche. Il travaillait  chez un concessionnaire  de voitures et ne gagnait pas beaucoup. Mais Said Ahamada Mbae visait d’autres richesses sur cette terre que les espèces sonnantes…
Et comme si tout cela n’était pas assez, à la fin de l’année après mon baccalauréat, il a fait à mon père, paysan au village, l’extrême honneur de lui rendre  visite avec son aura d’ancien Molinaco, son  épouse et ses deux fillettes Faiza et Faou ;  Ahmed et Faracha n’étant pas encore nés.  
Voila  Said Ahamada Mbae  tel qu’il fut : un homme dont la vie était au service des autres surtout les plus modestes.

Ali Moindjié

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