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Barreau de Moroni: La «désignation par acclamation» d’un autre Bâtonnier

Une situation délétère prévaut au sein du Barreau de Moroni à la suite de l’élection au scrutin majoritaire d’un Bâtonnier et la « désignation par acclamation » d’un autre Bâtonnier au cours de la même assemblée générale.

Pourtant la loi Portant organisation de la profession d’Avocat en Union des Comores prévoit en son article 33 : « L’élection a lieu au *scrutin pluri nominal*, chaque bulletin comportant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir, *à la majorité absolue des membres ayant pris part au vote*. »

De sorte qu’en dehors du scrutin majoritaire, aucun mode de désignation du Bâtonnier n’est autorisé. C’est ainsi qu’au cours de toutes les élections précédentes, un vote a eu lieu, alors qu’il n’y avait qu’une seule liste en lice à chaque élection.Ensuite, Maitre Mzimba a déclaré que la candidature de Maitre Tadjidine Ben Mohamed a été rejetée sans fondement juridique au motif fallacieux qu’elle n’a pas été adressée au Bâtonnier sortant. Pourtant *aucun texte legislatif ou règlementaire n’exige que les candidatures soient adressées au Bâtonnier*, ni même à la Commission chargée d’organiser les élections.
En outre, et c’est le comble, au moment de cette annonce, un des membres de la commission ayant délibéré sur la recevabilité des candidatures s’est exprimé immédiatement et publiquement pour dénoncer les mensonges proférés par Maitre Mzimba, en précisant que la commission n’avait nullement décidé d’éliminer la candidature de Maitre Tadjidine.
Enfin, la candidature de Maitre Mohamed Abdouloihabi a été déclarée recevable par le Bâtonnier sortant, alors même que l’article 33 de la loi exige que « Les membres du Conseil de l’Ordre sont élus directement par l’Assemblée générale des avocats pour un mandat de trois ans *parmi les avocats inscrits au Tableau ayant prêté serment depuis au moins trois ans*. »Cette situation inédite trouve son origine dans un désaveu profond et généralisée vis-à-vis de l’ancien Bâtonnier Ibrahim Ali MZIMBA.

En effet, le Conseil de l’ordre présidé par ce dernier et élu le 26 avril 2017, a fait l’objet de vives critiques, dès la fin d’année 2018, en raison de :
– L’absence totale de réalisation du Conseil de l’Ordre à mi-mandat ;
– L’absence de réaction du Bâtonnier dans les difficultés rencontrées quotidiennement par les avocats dans le cadre de l’exercice de leur profession et notamment lorsque des avocats ont été agressé physiquement ;
– La violation de la loi organisant la profession d’avocat, notamment dans le but d’ouvrir l’accès à la profession à des personnes ne remplissant pas les conditions légales, etc.

En réaction, 31 avocats sur les 47 inscrits s’étaient réunis en Assemblée générale le 21 mars 2019, pour décider d’organiser des élections générales en vue de l’élection d’un nouveau Conseil de l’Ordre. Ces élections ont été annulées par la Cour d’appel.

A la suite de l’expiration de son mandat le 26 avril 2020, c’est seulement avec l’intervention du Procureur Général, que le Bâtonnier sortant a fini par convoquer une assemblée générale élective le 22 novembre dernier.Maitre Tadjidine s’était déclaré candidat depuis plusieurs mois.

La candidature de Maitre Abdouloihabi, n’a été révélée que la semaine de l’élection. Il a lui-même annoncé que c’est Maitre Mzimba et Maitre Mahamoudou qui lui ont demandé de se présenter. Maitre Mahamoudou, lui-même, a vainement tenté de constituer une liste sans succès.Pourtant la majorité des avocats inscrits ont élu Tadjidine pour une raison simple : Le rôle du Bâtonnier est d’administrer l’Ordre dans le but d’améliorer les conditions d’exercice de la profession, mais aussi, et surtout de défendre les avocats. Pour ce faire, il faut s’imprégner des combats de la profession et être matériellement disponible pour les défendre.
Or, le candidat Abdouloihabi, malgré son expérience d’ancien magistrat et d’homme politique, ne sait rien des difficultés que rencontrent les avocats. Il n’est pas présent auprès des avocats de Moroni. Il a passé l’essentiel de ces deux années de Barreau à l’étranger. Il n’a plaidé qu’une seule affaire, en deux ans de Barreau : c’était pour défendre le recours de Maitre Mzimba contre 30 avocats du Barreau de Moroni.
D’ailleurs la majorité des avocats qui composent la liste d’Abdouloihabi n’exercent qu’occasionnellement la profession, soit parce qu’ils sont en fin de carrière politique, soit par qu’ils ont d’autres occupations qui ne leur permettent pas d’être au Tribunal.

Enfin, les avocats en exercice refusent de faire Bâtonnier un candidat présenté par le Bâtonnier sortant qui a fait la preuve de son manque d’intérêt pour l’avenir de la profession.Au-delà de l’illégalité de la candidature et de la volonté manifeste de s’opposer à l’expression de la majorité par des manœuvres désespérées, ce sont des considérations pratiques qui préoccupent la majorité des avocats en exercice : Ils veulent un Bâtonnier qui sera présent pour les défendre. Pas un porte-drapeau. Pas quelqu’un qui n’assume même pas de porter sa propre candidature. Pas un candidat qui se fait imposer la marche à suivre au vu et au su de tous. Et surtout pas un candidat qui va à l’encontre des valeurs que nous lui connaissons, sur ordre de Maitre Mzimba.Maitre Tadjidine a fait ses preuves comme défenseur de la profession. Toutes les fois où l’un des nôtres a été agressé, c’est lui qui a réagi alors que le Bâtonnier en exercice est demeuré introuvable et silencieux.
Il n’a été imposé par personne, il a gagné la confiance de ses pairs.Pour revenir à l’aspect strictement légal, la désignation de Mohamed Abdouloihabi est irrégulière à plusieurs égards :

• La Commission en charge des élections a été mise en place unilatéralement par Mzimba. C’est contraire à l’usage établi au sein de notre barreau et qui a prévalu au cours des deux précédentes élections : C’est l’Assemblée générale qui, de tout temps, a désigné les membres et installé le Bureau ;

• Pour la première fois de notre histoire, un Bâtonnier en exercice s’est imposé lui-même comme membre de ladite commission, toujours en violation des usages établis puisque les bâtonniers sortants, qu’ils soient candidats ou non, se sont toujours abstenu d’intégrer la Commission ; C’était le cas lorsque Harmia a été réélue, et lorsque Mzimba a été élu lui-même : le Bâtonnier sortant n’était pas candidat, pourtant il ne faisait pas partie de la commission.
• A la suite de l’examen à huis clos des candidatures par ladite Commission, Maitre Mzimba a annoncé que la Commission avait décidé de ne pas recevoir la candidature de Maitre Tadjidine : Au moment de cette annonce, l’un des membres qui composaient la Commission a immédiatement et publiquement déclaré que la Commission n’avait nullement pris une telle décision. Maitre Mzimba ne s’est même pas donné la peine de démentir.

• Il a déclaré que ladite commission a éliminé la candidature de la liste présentée par Maitre Tadjidine, au motif que cette candidature serait adressée « Aux avocats composant le Barreau de Moroni » et non au Bâtonnier alors même qu’aucune loi, aucun règlement, aucun usage, n’exige que les candidatures soient adressées au Bâtonnier ;

• Il a déclaré recevable la liste de Maître Mohamed Abdouloihabi alors même qu’elle est présidée par un avocat ayant prêté serment depuis moins de 3 ans et qu’elle comporte un avocat-stagiaire en violation des articles 30 et 33 de la loi portant organisation de la profession d’Avocat ;

• Il s’est abstenu de procéder à une quelconque élection de la liste retenue par lui alors lors que l’article 33 de la loi exige un scrutin majoritaire ;

• Il a déclaré de son seul chef, que Maitre Abdouloihabi est désormais Bâtonnier car désigné par acclamation ;

• Il a quitté la salle, sous les huées, sans se donner la peine de clore l’Assemblée générale et sans avoir soumis la moindre résolution au vote de l’Assemblée ;A la suite du départ du Bâtonnier sortant et de Maître Abdouloihabi et son équipe, les 27 avocats présents, constatant que l’élection à l’ordre du jour n’a pas eu lieu, ont poursuivi l’Assemblée générale. Ainsi, une Commission des élections a été instaurée à l’unanimité, les candidatures ont été examinées et la liste de Maitre Tadjidine a été élue par 26 voix contre 1 abstention, sur les 50 avocats inscrits au Barreau de Moroni.Il est clair que le contexte de l’élection n’a pas permis à l’ensemble des avocats de s’exprimer, mais si ça avait été le cas, cette majorité abosule déjà acquise n’aurait pu qu’être renforcée.Pourtant en dépit de ce vote majoritaire, Maitre Mzimba et Maitre Abdouloihabi continuent de s’adresser régulièrement à la Presse en présentant ce dernier comme le Bâtonnier « élu ».

Ils ont procédé à une « passation technique, en présence de la presse et annoncé une cérémonie officielle d’investiture. Ces gesticulations n’ont pour objectif que de tromper l’opinion publique. Il n’y a jamais eu, de mémoire d’avocat comorien, aucune cérémonie de passation technique ni aucune investiture publique des Bâtonnier précédemment élus. Pas même pour Maitre Mzimba lui-même. Pour une raison simple : ces mises en scène n’ont aucune incidence sur la légalité de l’élection. Elles témoignent, au contraire, d’un besoin de combler le défaut manifeste de légitimité d’un Bâtonnier désigné contre la volonté de la grande majorité des avocats.
Cette situation risque de conduire à une scission du Barreau si chaque camp continue à tirer la couverture de son côté.

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