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Bombay paralysé par les funérailles de Bal Thackeray, figure du régionalisme d’extrême-droite

La figurine de Bal Thackeray était omniprésente dans les rassemblements en son hommage, dimanche 18 novembre à Bombay.

Le centre de Bombay, capitale économique et financière de l’Inde, a été submergé dimanche 18 novembre par une foule de deux millions de personnes venues rendre un dernier hommage à Bal Thackeray, icône régionale de l’extrême-droite hindoue ayant exercé une profonde influence sur la politique indienne durant près de quarante ans. M. Thackeray est décédé samedi à l’âge de 86 ans. Avec lui disparait une figure majeure de ce qu’on appelle en Inde la « politique de l’identité » (« identity politics ») qui avait lourdement contribué à la droitisation de la scène politique indienne dans les années 1980 et 1990.

Dispositif policier exceptionnel, foules en pleurs, délégations ininterrompues de dirigeants politiques de tous horizons, de stars de Bollywood, de magnats du monde des affaires : les hommages multiples qui ont accompagné la crémation dimanche de Bal Thackeray dans le parc Shivaji au sud de Bombay disent l’importance que s’était taillé ce tribun populiste à l’héritage politique éminemment controversé. La ville devait continuer à être paralysée lundi.$

MILITANT POUR LA CULTURE RÉGIONALE

Durant près de quarante ans, Bal Thackeray aura attisé la fierté régionale des habitants du Maharashtra – l’Etat dont Bombay est la capitale – quitte à enflammer les passions xénophobes ou sectaires visant les migrants venus d’autres régions et les musulmans. Les campagnes déclenchées par le Shiv Sena – l’armée de Shivaji – auront entretenu un climat d’intolérance et de haine ayant souvent débouché sur des affrontements violents. Des musulmans, Bal Thackeray a dit un jour qu’ils « se répandent comme un cancer« . Et il a avoué sans mal son admiration pour Hitler, cet « artiste ».

Né en 1926, Bal Thackeray a commencé sa carrière comme caricaturiste de presse, notamment dans l’hebdomadaire Marmik qu’il a lui-même fondé. Il est entré en politique dans le contexte du puissant mouvement d’agitation régionaliste qui réclamait à la fin des années 1950 la délimitation des Etats indiens selon le critère linguistique. Ainsi est né en 1960 l’Etat du Maharashtra – la « patrie » des locuteurs du marathi.

Une fois la victoire acquise, ce regroupement de forces locales mêlant droite et gauche s’est démobilisé mais Bal Thackeray capitalisa sur la dynamique amorcée en créant en 1966 une nouvelle formation, l’armée de Shivaji. Après le combat pour la langue, M. Thackeray mobilisa ses partisans autour de la « culture » du Maharashtra à préserver contre les périls extérieurs. Référence mythique du mouvement, Shivaji était un roi hindou du Maharashtra qui avait tenu tête au XVIIe siècle aux empereurs musulmans moghols.

LE SHIV SENA HORS DE CONTRÔLE

Bal Thackeray joua pleinement de cette mémoire de Shivaji pour embraser la fierté des Maharashtriens. Le parti du Congrès au pouvoir à New-Delhi n’hésita pas à l’utiliser pour combattre le Parti communiste, alors influent à Bombay.

Mais le Shiv Sena devint rapidement hors contrôle. Après les « Rouges », il s’en est pris aux Indiens du Sud, accusés d’avoir mis la main sur Bombay. Puis à partir du milieu des années 1980, le Shiv Sena a embrassé la rhétorique antimusulmane de l’extrême droite nationale hindoue. Fin 1992-début 1993, Bombay fut le théâtre de meurtrières émeutes antimusulmanes où les militants du Shiv Sena jouèrent un rôle clé. Dopé par la vague de l’hindouisme militant, le Shiv Sena conquit en 1995 l’Etat du Maharashtra en partenariat avec le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou. Un an plus tard, Bombay fut rebaptisé en Mumbaï, le nom autochtone.

Des Indiennes pleurent la mort du leader régionaliste Bal Thackeray, à Bombay, dimanche 18 novembre.

Les années 2000 virent un enracinement du mouvement dans le corps social de Bombay et, au-delà, dans les grandes villes du Maharashtra. Un conflit de famille fit toutefois imploser le parti. Le neveu de Bal Thackeray, Raj Thackeray, fit dissidence et fonda l’Armée de renaissance du Maharashtra (Maharashtra Navnirman Sena, MNS). S’inspirant des méthodes expérimentées par le patriarche, le MNS s’attaqua aux migrants d’Inde du nord (Uttar Pradesh, Bihar…) accusés de voler le travail des locaux. Au-delà de la question migratoire, le MNS comme le Shiv Sena jouèrent à la police idéologique et culturelle, intimidant Bollywood et les cercles universitaires, se livrant parfois à des autodafés de livres bannis.

La question que se posaient tous les commentateurs indiens dimanche soir portait sur l’avenir du Shiv Sena devenu orphelin. La guerre des héritiers va-t-elle repartir de plus belle ? Le parti saura-t-il se repositionner dans un contexte national marqué par le primat des considérations économiques sur les obsessions identitaires ? Dans l’immédiat, Bombay pleure son tribun disparu, figure sulfureuse mais symptomatique des convulsions récentes de l’Inde.

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