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Des Comoriens chiites : « mythe » ou réalité ?

L’islam comorien à l’épreuve du dialogue

des cultures et des civilisations

 

Par Djalim Ali

Enseignant à l’Université des Comores

 

Comme chaque fois, à la faveur de la commémoration de l’Achoura -la mort de Hussayn, le petit-fils du prophète de l’islam-, un débat ou plutôt un tollé se fait jour, au sein de l’orthodoxie, sur le « développement d’un islam d’obédience chiite » pour « dénoncer » ce qui serait un « danger » pour l’archipel. L’enseignant à l’Université des Comores, Djalim Ali, tente ici de dépassionner le débat en y proposant quelques pistes de réflexion. Selon lui, l’islam comorien aurait tout intérêt à se mettre à l’épreuve du dialogue des Cultures et des Civilisations, actuellement en gestation dans le monde.

 

Des chercheurs n’hésitent pas à affirmer que les premiers musulmans qui ont débarqué sur les côtes comoriennes étaient d’obédience religieuse chiite. Dissidents vaincus fuyant vers un horizon meilleur, ces fameux « chiraziens », comme on aime les identifier, auraient atteint les Comores entre le 10ème siècle et le 15ème siècle. Ils seraient des chiites ayant fui les persécutions dont ils étaient victimes de la part de leurs coreligionnaires sunnites avec lesquels ils étaient en conflit dans leurs pays d’origine, Chiraz de l’ancienne Perse, actuellement la République Islamique d’Iran.

 

Ce qui est notoire et incontestable dans cette histoire pour ne pas dire ces histoires, c’est la présence dans notre pays les Comores de quelques communautés chiites depuis le début du 20ème siècle, et qui pratiquaient leur foi sans que cela suscite de quelconques inquiétudes. Il s’agit des communautés Bohoras, Aga-Khaniste et Khojja qui se sont implantées dans un premier temps dans l’ile d’Anjouan avant de se diriger vers les autres iles. Leur implantation est le fait d’un commerce très actif qui se développait, depuis très longtemps, entre l’Inde et les pays de l’océan indien occidental. Ils vivaient en bons termes avec les comoriens qui ne se sont jamais sentis menacés de quelques manières que ce soit par leur présence, et qui, en plus, ignoraient pour la grande majorité d’entre eux, ce que c’est que cette « fitna » propre aux musulmans du Moyen Orient.

 

Quelques rappels

 

Mais qui sont-ils donc ces chiites comoriens qui font la « une » des journaux et sur lesquels leurs détracteurs tiennent un discours souvent caricatural et exagéré ces derniers temps ? C’est à partir de 2006 et sous la présidence d’Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, élu en 2006, à la tête de l’état comorien, qu’a été révélé un fait nouveau aux Comores, à savoir, l’existence d’un courant chiite composé de comoriens qui ne cachent pas leur appartenance au chiisme.

 

Est-ce pour autant que Ahmed Mohamed Sambi, doit être considéré comme chiite, comme aiment le répéter ses détracteurs en politique ? Selon eux, Sambi incarnerait ainsi le courant fondamentaliste ; ce qui n’est pas étonnant puisqu’il sort d’une université de l’Iran « une République islamique » fonctionnant avec des institutions républicaines démocratiques à l’instar des pays occidentaux. Cependant, rien ne prouve que Sambi ait adopté le courant ou le caractère chiites de son pays d’accueil. Il ne l’a jamais manifesté publiquement en plus de trente ans de pratique religieuse. Sambi semble avoir toujours pratiqué le rite sunnite même si des arabisants et autres observateurs de l’islam aux Comores lui reprochent de ne pas être sunnite et qu’il jouerait au « taqiya », c’est-à-dire à la prudence et dissimulation, propre aux chiites.

 

Il faut savoir que c’était un 28 janvier 2007, qu’une cinquantaine d’adeptes avaient célébré, à Moroni, la mort de Hussayn, petit-fils du prophète de l’islam, Muhammad, conformément au culte particulier que les chiites vouent au descendant du Prophète. Cette cérémonie commémorative a eu lieu au Centre Culturel Islamique, soutenu par l’Ambassade d’Iran à Madagascar et qui avait alors ouvert ses portes à Zilimadjou, un quartier du sud de Moroni en septembre 2006.

 

Sans prosélytisme

 

Le Centre était dirigé par un certain Mouhadine Ahmed Abdallah, (bien que d’origine anjouanaise, cette personne n’avait aucun lien de parenté avec Ahmed Mohamed Sambi), un anjouanais qui avait résolu de franchir le pas et ainsi se dévoiler en tant que responsable du centre. Il se serait converti au chiisme dès l’âge de 25 ans, après avoir eu des discussions avec des chiites qui l’auraient orienté et montré des livres qui lui ont permis de faire des recherches et de rencontrer des érudits chiites. Mouhadine assure que son centre n’est pas ouvert pour faire du prosélytisme, ni enseigner le chiisme, mais accueillir des jeunes désœuvrés et déscolarisés orientés vers des métiers plus techniques et professionnels. Il n’en demeure pas que la salle de prière de ce centre, aux dires de certaines personnes qui l’ont fréquentée, avait été ouvertes aux croyants d’obédience chiite et qu’une partie des enseignants, bénévoles soient-ils, s’étaient convertis à ce courant alors minoritaire.

Toujours est-il que jusqu’à ce jour, « très peu de personnes sont capables d’apporter des précisions sur l’identité, le nombre, les activités et l’état d’esprit de ces musulmans, au-delà du stéréotype sur un chiisme violent et extrémiste, aujourd’hui véhiculé dans le monde entier ».

 

En plus du Centre Culturel Islamique de Mouhadine Ahmed Abdallah, il existe une autre structure regroupant des comoriens chiites à Ngazidja qui est l’association «Athakalayn», créée officiellement par Mohamed Mladjao, natif du village de Wella au nord de Ngazidja, qui revendiquait en 2007, une vingtaine d’adhérents. On évalue, selon ces nouveaux convertis, le nombre des chiites sur l’ile de Ngazidja, en dehors des communautés indiennes, Bohoras, Khodjas et Aga Khanistes, à une centaine, deux cent tout au plus, alors qu’ils seraient plus nombreux à Mayotte. C’est à Ndzuani, avec environ 300 adhérents, que le mouvement chiite a pris une grande ampleur, notamment sous la houlette de Mahamoud Abdallah Ibrahim, le fils de l’ancien dirigeant séparatiste Abdallah Ibrahim.

 

Une chance pour la promotion de l’islam

 

Comme tous les ans, la célébration de l’Achoura, commémoration de la mort de Husayn ainsi que le développement spectaculaire du chiisme provoquent un tollé au sein de l’orthodoxie pour dénoncer dans les termes souvent les plus énergiques, alarmistes et caricaturaux, ce qu’on y décrit comme un « danger pour l’archipel ». Cette affaire du chiisme qui recrute des jeunes comoriens a en effet provoqué chez certains un réflexe identitaire qui tend à nier le droit d’être à la fois comorien et d’une autre obédience musulmane que sunnite, créant une psychose qui fait croire à certains de nos compatriotes que le chiisme est un danger pour les Comores.  

 

Il est à noter que la tendance est d’accoler à l’islam comorien les qualificatifs de « sunnite » et « tolérant » comme si le sunnisme garantissait le caractère pacifique et religieux de l’islam à l’inverse du chiisme qui serait par essence violent et pas tolérant. Ne pas prendre en compte cet aspect, rétorquent certains nouveaux convertis au chiisme, c’est oublier que les sunnites sont, dans le monde au moins aussi souvent, à l’origine de propos et actes généralement considérés comme violents que les chiites qui, rappellent-ils, ont contribué à la grandeur de la civilisation de l’islam au même titre que leurs coreligionnaires.

 

Dans tous les cas, l’islam comorien ne peut que s’en remettre à l’épreuve du dialogue des cultures et des civilisations. Dans ces circonstances, l’Etat comorien doit s’imposer en garantissant une neutralité dans ces conflits intra religieux qui remontent aux origines de l’islam et qui a marqué et continue de marquer l’histoire du monde musulman dans tous ses aspects. Il se doit, avant tout, comme le recommande expressément son devoir régalien, de garantir la laïcité de l’État, gage de paix et de tolérance dans notre société et qui, à mon sens, constitue une chance pour la promotion de l’islam.

 

Et de conclure cette modeste réflexion en paraphrasant Mohamed Bajrafil, imam d’origine comorienne officiant en France qui explique que : « le problème c’est qu’il y a des gens qui ont une conception de la laïcité qui est areligieuse, or le la laïcité n’est pas une lutte contre la religion, mais la liberté de tout un chacun d’avoir sa conscience, de croire ou non ». Selon lui, « les pays minés par les conflits religieux auraient intérêt à pratiquer l’esprit de la laïcité à la française ». Et comme dit l’adage : « la laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une ».

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