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La Suisse, paradis fiscal en voie d’extinction ?

La première banque suisse UBS s'attend à la perte de centaines de milliards de francs suisses avec la fin de l'évasion fiscale et la réorientation de la place financière suisse vers les avoirs déclarés.

Il se passe désormais rarement un mois sans qu’une affaire liée à l’exil fiscal en Suisse n’éclate. Dernière en date, et pas des moindres, les accusations portées par Mediapart contre le ministre délégué au budget, le socialiste Jérôme Cahuzac, qui aurait détenu un compte non déclaré au sein de la première banque suisse UBS, également l’un des premiers gestionnaires de fortune au monde.

Jusqu’ici largement accepté, le secret bancaire, une institution nationale dont l’inscription dans la loi remonte à près d’un siècle, s’effrite petit à petit au gré des scandales et de la pression internationale, qui obligent les autorités suisses à céder toujours plus de terrain. Depuis 2009 notamment, le secret bancaire n’est plus opposable à l’administration fiscale d’un pays tiers. Mais la Suisse a dû aller plus loin : pour disparaître de la liste des paradis fiscaux non coopératifs dressée par l’Organisation de coopération et de développement économiques, elle a été contrainte de signer de nouvelles conventions fiscales autorisant l’échange, sur demande, de renseignements avec l’étranger.

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Plus ambitieux encore, l’accord « Rubik » – en référence au casse-tête Rubik’s cube –, initié en 2009 mais qui n’en est qu’à ses balbutiements en terme d’adoption, devrait marquer un tournant dans la politique fiscale de la Confédération helvétique à l’égard de ses voisins européens. Cet accord se base sur un système mis au point par Berne concernant les avoirs non déclarés déposés dans les établissements bancaires helvétiques. Ces avoirs seront taxés par les banques elles-mêmes, qui reverseront l’impôt prélevé au pays dont le contribuable fraudeur a la nationalité, en guise de dédommagement. En échange, les noms des clients concernés par ce « redressement » ne seront par divulgués par la Suisse.

TRAITEMENT DE FAVEUR POUR LES ÉTATS-UNIS

Si le Royaume-Uni et l’Autriche ont d’ores et déjà signé l’accord Rubik, l’Italie et la Grèce y réfléchissent encore. En Allemagne, la partie n’est pas gagnée. Le Bundesrat – chambre haute du Parlement contrôlée par l’opposition, et qui représente les Länder, ou régions – a retoqué le texte : celui-ci interdit en effet l’achat de données bancaires volées, pratique à laquelle les Länder se sont plusieurs fois livrés.

Parmi eux, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qui a fait savoir mardi que le dernier CD qu’elle s’était procuré contenait des données bancaires sur 750 fondations et 550 autres clients d’UBS, totalisant des placements de plus de 2,9 milliards d’euros.

Lire : A peine signé, l’accord fiscal entre Berne et Berlin déjà remis en cause

Du côté de la France, l’accord semble également dans l’impasse. Bercy refuse de le signer sous sa forme actuelle, et préfère opter pour l’échange d’informations, c’est-à-dire la transmission pure et simple des noms des titulaires des comptes en Suisse – ce que refuse pour l’instant Berne. Le président François Hollande recevra à ce titre vendredi la présidente de la Confédération helvétique et ministre des finances, Eveline Widmer-Schlumpf, pour évoquer les questions financières et fiscales litigieuses, dont la régularisation des avoirs non déclarés.

Les Etats-Unis sont de leur côté en train de faire évoluer la situation à leur avantage. Ils viennent en effet de parapher, mardi, un accord avec Berne sur l’application de la loi fiscale américaine dite FATCA (« Foreign Account Tax Compliance Act »), qui oblige les banques étrangères à signer avec le fisc américain un accord dans lequel elles s’engagent à lui communiquer tous les comptes détenus par des ressortissants américains.

Face au recadrage de la place financière suisse, les banquiers tentent de relativiser. Le directeur régional d’UBS Genève, également membre de la Fondation Genève place financière, a beau assurer que « l’avenir de la profession, c’est l’argent fiscalisé », cela n’a pas empêché la banque d’anticiper dès septembre des retraits massifs compris entre 12 et 30 milliards de francs suisses. Les médias suisses, dont l’hebdomadaire Le Matin Dimanche, accusent même Paris de faire entrer illégalement sur le territoire des enquêteurs du fisc, pour effectuer des repérages près du domicile de présumés exilés fiscaux.

Lire :  Le fisc français ‘met le cheni’ en Suisse (édition Abonnés)

L’inquiétude est d’autant plus vive que même le très suisse « forfait fiscal » (impôt à taux fixe calculé sur la valeur locative d’un logement), part à vau-l’eau. Réservé aux riches étrangers, il permet aujourd’hui à plus de deux cents Français de payer très peu d’impôts par rapport à leurs revenus réels. Peut-être plus pour très longtemps. Les cantons de Zurich, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Extérieures et Bâle l’ont déjà aboli, tandis que Glaris, Lucerne, Saint-Gall, Thurgovie et Berne ont opté pour son durcissement.

Même serrage de vis au niveau fédéral : le Conseil national, la chambre basse du Parlement suisse, a relevé le barème du forfait mi-septembre. Une décision déplorable pour le magazine économique suisse Bilan, qui publie chaque année un palmarès des trois cents personnes les plus riches de la Confédération : « Si le peuple supprime le forfait fiscal, la Suisse va être éjectée de la liste des pays les plus attractifs fiscalement » au profit notamment de « Londres, Bruxelles ou Luxembourg ».

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