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Le «coup d’Etat permanent» : la République privée de loi de finances

Le peuple comorien a malheureusement l’habitude d’avaler des couleuvres de la part des autorités politiques de ce pays, du reste, ses représentants, mais cette fois-ci la ficelle est trop grosse pour qu’on ne s’aperçoive pas de la supercherie. Les violations intempestives des règles juridiques, mêmes celles que le pouvoir s’évertue à imposer, sont devenues le lot quotidien dans cette République, qui glisse petit à petit mais inexorablement vers une monarchie absolue. Malgré les coups portés, elle baisse la tête mais elle ne rompt pas. Jusqu’à quand ? Le peuple a vécu la suppression du juge constitutionnel, avant même les assises dites nationales. Il a subi un referendum constitutionnel et en son nom, le Chef de l’Etat légitime son pouvoir. Aucune réaction. Le peuple est comme hypnotisé, sous l’effet d’un gourou. Ce peuple fier continue à subir les affres d’une justice aux ordres qui n’hésite pas à jeter aux goulags les opposants au régime sous des prétextes aussi fallacieux que rocambolesques. Rien à redire. Le dernier coup en date et qui risque de passé inaperçu, élections anticipées obligent, c’est l’adoption du budget de l’Etat par une ordonnance royale. Chose inconcevable dans une démocratie, le premier des représentant du peuple a osé franchir le Rubicon. Il a tout mis en œuvre pour neutraliser le Parlement afin de passer à la vitesse supérieure. Ainsi va la République assiégée !

Le vote du budget, une prérogative législative

La représentation nationale, l’Assemblée de l’Union, est investie par la Constitution de la noble mission d’édicter les règles juridiques de l’Etat. Concrètement, les députés sont chargés de faire les lois de manière générale, et en particulier la loi de finances. Cette loi est d’une importance capitale dans la mesure où elle arrête le budget de l’Etat. Sans cette loi de finances, l’Etat ne peut disposer de budget, ou de l’argent pour gérer les affaires étatiques. C’est la raison pour laquelle la Constitution a consacré cette intervention législative. Ainsi aux termes de l’article 88, alinéa 1, de la Constitution révisée, « L’Assemblée de l’Union vote les lois de finances à la majorité de deux tiers… ». Ces dispositions constitutionnelles montrent clairement que le vote du budget est une prérogative du Parlement, en l’occurrence l’Assemblée de l’Union. D’ailleurs la combinaison de ces dispositions avec celles de l’article 72 de la loi fondamentale montre l’importance de ce vote : « L’Assemblée… adopte le budget… » Il faut le concéder, le Gouvernement reste le maître du jeu en la matière puisque c’est lui qui prépare le projet de loi de finances, le soumet au Conseil des ministres, puis il le dépose au bureau de l’Assemblée de l’Union pour le vote. De surcroît, l’exécutif maitrise l’inscription des projets et propositions de lois à l’ordre du jour des séances de l’Assemblée. Ne vous laissez pas abuser par les paroles angéliques de ce gouvernement, l’enfer étant pavé de bonnes intentions. Il faut le savoir, il ne revient pas au gouvernement de voter la loi de finances.

Le recours aux ordonnances, une hérésie présidentielle

L’article 88, alinéa 2, de la Constitution postule pour une intervention gouvernementale aux fins de mettre en œuvre le budget de l’Etat. Il prévoit donc que « Si elle l’Assemblée de l’Union ne s’est pas prononcée dans un délais de soixante jours après l’ouverture de la deuxième session ordinaire, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ». Soit. Mais c’est justement là où il y a la supercherie. En effet, si on peut admettre cette exécution du budget par voie d’ordonnance, car prévue par la nouvelle Constitution, il est difficilement acceptable de croire l’argumentaire du gouvernement. En effet, c’est ce dernier qui a bloqué le travail parlementaire. On se souvient de cet épisode malheureux du feuilleton de la loi d’habilitation. Celle-ci n’a pas pu être examinée du fait de l’obstruction du président de l’Assemblée commanditée par le gouvernement. Il faut le dire, toute intervention de l’exécutif dans le domaine législatif requière une autorisation du législateur limitée dans le temps et dans les matières. Autrement dit, c’est le législateur qui habilite le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures rentrant dans le domaine de la loi. Mais comment la faire lorsqu’on est assiégé ? En cela, toute responsabilité sur l’absence d’examen du projet de loi de finances et de son vote n’incombe pas au Législateur, mais plutôt au gouvernement. Toujours dans la forfaiture. Ainsi, l’ordonnance présidentielle N° 19-001/PR du 2 janvier 2019, bien que conforme à la lettre de l’article 88, alinéa 2, de la Constitution révisée, elle est constitutive d’un détournement de procédure. Le gouvernement a délibérément bloqué l’Assemblée pour arriver à un tel résultat. Il est donc clair que ce gouvernement voulait avoir les mains libres pour faire ses coupes budgétaires et peut-être exécuter un budget insincère sans aucun contrôle des parlementaires. Sinon, comment comprendre que celui-ci n’ait pas convoqué immédiatement une session extraordinaire pour voter le budget ? L’exécutif a sciemment joué la montre pour agir de la sorte. C’est un précédent dangereux dans cette République vacillante. De telles manœuvres sont indignes dans une République et un pied de nez à l’endroit de la représentation nationale. C’est une insulte grave à l’institution parlementaire.

Ahmed ALI ABDALLAH,
Docteur en Droit public.

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