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Lou Doillon, l’irrésistible

Paru dans Match

Son premier album, « Places », est la belle surprise de l’automne. Elégantes et racées, ses chansons folks très personnelles possèdent une grâce naturelle.

Interview Karelle Fitoussi – Paris Match


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Paris Match. Vous publiez votre premier album à 30 ans alors que vous êtes actrice depuis l’âge de 16 ans… Pourquoi avoir attendu si longtemps ?Lou Doillon. Je ne pensais pas faire un disque. Mais je suis tombée sur un homme qui m’a perdue. Ça arrive parfois qu’il y ait une passion qui vous annule… Ça m’a amenée très loin… Et je n’avais que deux solutions : partir dans un hôpital psychiatrique ou marcher. J’ai passé trois ans à traverser Paris de long en large. J’avais besoin de violence. Je me faisais mal aux doigts, à la voix… Plus ça allait, plus ça calmait mes rages, et une douceur est née de ça. Mes chansons sont sorties comme un acte de survie à un moment où je ne croyais plus assez en moi pour faire ce métier.

Cet homme est au courant ?
Je ne sais pas, je ne l’ai jamais revu… Finalement, je le remercie, il est la meilleure chose qui me soit arrivée…

Vous attendiez-vous à une telle unanimité ?
Non. Moi qui suis obsédée par les poètes maudits, les musiciens maudits… j’ai une veine inouïe que ça m’arrive de mon vivant. J’ai toujours eu la chance de susciter la bienveillance dans la rue – notamment grâce à ma mère, à Charlotte et à Serge – mais les gens m’aimaient sans trop savoir pourquoi : on ne comprenait pas mon implication dans la mode, mes films n’étaient pas vus ou ceux qui l’étaient étaient sans doute moins bons… Il y a eu un ratage entre le public et moi. Pourtant, quand je revois “Carrément à l’ouest” de mon père, je me dis que c’était pas si mal !

Vous en doutiez ?
Oui, parce que le métier était dur avec moi ! A la sortie de ce film, sur les deux cents pré-nommés au César du meilleur espoir, tous les acteurs étaient cités sauf moi. On finit par se dire : “Merde, si même le mec qui fait une intervention de deux minutes est remarqué et pas moi, c’est qu’on ne me veut pas dans ce métier !”

Peut-on parler de malentendu ?
Quand j’ai monté seule le spectacle “Lettres intimes” pour aller lire des textes à travers la France pendant un an et demi, la première réaction des gens a été : “Oh, on savait pas que vous lisiez !” On m’a un peu vue comme une Vanessa Paradis qui faisait l’actrice pour le plaisir. Les gens pensaient que j’habitais aux Etats-Unis et que grâce au mannequinat j’avais une belle vie. Comme en plus ils étaient convaincus que j’étais la fille de Serge, ils se disaient que je gagnais une blinde ! Tu réponds : “Bah non, j’ai deux parents en vie, je n’ai pas d’héritage.” Le pire, c’est qu’après m’avoir fantasmée en jet-setteuse mondaine, là, avec l’album, on est presque en train de sombrer dans l’extrême inverse en disant : “Non, en fait, ça fait dix ans qu’elle mangeait des croquettes chez elle en allant super mal.” Il y a quand même un entre-deux…

Votre traversée du désert correspond à la période où, à 20 ans, vous êtes devenue mère. Vous êtes-vous sentie “périmée” avant l’heure ?
Bien sûr ! J’étais sûre que c’était fini ! A 20 ans, j’ai quand même eu un agent qui m’a dit : “Mais tu comprends pas ! Personne ne te veut !” C’est simple, je n’ai fait aucun casting entre 20 et 28 ans !

Vous sentez une différence depuis la sortie de l’album ? Vous recevez plus de propositions ?
Etrangement, avec la musique, plein de gens redécouvrent mes films. Je n’ai jamais autant entendu que j’étais actrice qu’aujourd’hui. Désormais on dit que je suis une comédienne qui chante. Je n’ai jamais reçu autant de mots divins de gens du cinéma. C’est comme si, soudain, je devenais le porte-étendard de la polyvalence en France. Comme si j’apaisais quelquechose chez les actrices en disant : “Vous savez quoi ? On peut commencer à 30 ans !” Comme Serge Gainsbourg qui a sorti son premier disque à 30 ans…

“Aujourd’hui, 80 % de la musique française est un plagiat plus ou moins avoué de Serge et de ma mère !”

Alors qu’une partie de la nouvelle scène française se réclame de lui, on ne sent pas son influence dans votre musique. Pourquoi ?
J’adore la façon qu’il a eu d’inventer un personnage et une perversion à travers ses chansons. Je peux écouter “Melody Nelson” et “L’homme à tête de chou” en boucle. Mais en tant que femme, je ne pourrais pas entrer par cette porte-là. Je pars du principe de me foutre à poil, alors que lui partait de l’idée de rajouter des couches !

Vous n’auriez pas pu être la muse d’un homme ?
Difficilement. Je ne voulais pas jouer le même jeu que ma soeur et ma mère en n’étant qu’interprète parce que c’était une guillotine qui m’attendait au bout de la rue. Je n’aime pas le rapport de muse à Pygmalion. Sauf au cinéma ou au théâtre. Là, je veux bien être la victime consentante d’un génie. Mais que d’un génie ! Or, à chaque fois qu’on me l’a proposé en musique, c’était des trucs un peu foireux… Pas exceptionnels.

Que vous ont transmis vos parents ?
Mes références musicales, ma méthode de travail et mon intransigeance viennent de mon père qui est quelqu’un de très dur. Qui a des petites phrases pour tout. Maintenant, à mon tour, je les fais tomber sur mon fils comme un couperet. Chez les Doillon, les phrases sont saignantes ! Là où mon album porte l’empreinte de ma mère, c’est dans l’idée d’accepter de dire “je” et de se mettre à nu. Comme elle, je suis profondément nostalgique et romantique. Je vis avec des fantômes, avec des symboles partout sur les murs, avec les morts, avec les hommes du passé… Ma maison est remplie de monde et j’archive tout, je garde tout !

Les critiques vous blessent-elles ?
S’il y a vingt types qui vous aiment et un qui ne vous aime pas, l’obsession c’est celui qui ne vous aime pas. J’ai tendance à ne lire que les mauvaises critiques ! J’en ai eu une hyperméchante récemment que j’ai très mal vécue. Vous faites référence à “Libé” ? Oui. Je suis pour la critique de mon travail mais là, c’était une attaque sur ma famille, du niveau du tabloïd “The Sun” en Angleterre ! Tacler ma mère, ma grand-mère, mon fils et mon physique ne me semble pas très constructif car, malheureusement, je ne peux pas y faire grand-chose…

Vous prétendez ne pas vous sentir très proche de la pop française, contrairement à Etienne Daho qui a réalisé votre album. Y a-t-il des exceptions ?
Je vais être méchante, mais, vu que 80 % de la musique française aujourd’hui est un plagiat plus ou moins avoué de Serge et de ma mère, je préfère écouter les originaux ! Moi j’aime les voix cassées, quand ça râpe, quand ça pose problème, quand c’est un peu crade. J’entends deux accords et la voix d’Arno et je suis au paradis. C’est rare que des jeunes gens aient ça. A part Rover, que j’étais contente de découvrir l’année dernière…

Avez-vous le sentiment d’appartenir à un groupe ou à une scène musicale ?
Non, c’est comme d’habitude, je me sens en décalage. Je suis à côté de par mon âge puisque je côtoie soit des gens de 30 ans qui en sont à leur quatrième disque, soit des bébés de 18 ans… Et, vu qu’on m’encense un peu partout, je sens que ça va créer un petit hic chez les “zicos”… Mais ça n’est pas très grave. Le fait que je puisse commencer à poser problème est très joyeux ! Ça veut dire que je suis arrivée à un point où je provoque enfin quelque chose.

« Places » (Barclay/Universal).

De Lou Doillon à Lescop, retrouvez la nouvelle génération de la scène hexagonale photographiée par Bryan Adams dans Paris Match n°3312 du 8 au 14 novembre 2012.

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