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Présidentielle: Fahmi Saïd Ibrahim : « Je préfère voir un Etat modeste avec une population riche »

Fahmi Said Ibrahim

Fahmi Said Ibrahim

INTERVIEW. Ex-ministre des Affaires étrangères, l’avocat Fahmi Saïd Ibrahim est le candidat du parti JUWA. Son crédo : la rupture pour une meilleure gouvernance économique et politique.

 

Le Point Afrique : vous avez été désigné candidat du parti Juwa de l’ancien président Sambi. Dans quel contexte s’est effectué votre rapprochement ?

Fahmi Saïd Ibrahim : Je suis chef du Parti de l’Entente Comorienne (PEC) que j’ai crée il y a au moins 10 ans. Le contexte politique nous a conduits à faire alliance avec le président Sambi qui, à l’époque, n’avait pas de parti. Après son élection, il a décidé de libérer Anjouan militairement. Je l’ai accompagné parce que, quand il s’agit de l’unité nationale, on doit dépasser nos divergences. On ne peut pas parler de développement sans réellement ce sentiment national d’appartenance à un pays. Je suis très lié à la nation et au peuple comorien.

Mais la Cour constitutionnelle a rejeté la candidature de Sambi…

Mon parti a accepté l’idée d’aller vers une fusion avec le parti du président Sambi qui est le plus grand parti du pays. Il est très populaire dans le pays. Il a raflé une bonne partie des élections dans le pays, notamment dans l’île d’Anjouan et à la Grande Comore, notamment dans la capitale, lors des législatives. C’est à partir de là que j’ai favorisé cette fusion. Maintenant, il y a eu un débat institutionnel, qui est posé depuis six mois aux Comores. Ceux qui s’opposaient à Sambi n’ont pas trouvé mieux que de mettre en exergue une interprétation étonnamment étriquée de la constitution. Celle-ci soutient qu’il faut être originaire de telle ou telle île pour être candidat. Alors qu’en réalité, ce n’est pas ce que la constitution dit. En son article 13, elle est très claire. La présidence est tournante, entre les îles. Nulle part, il a été mentionné qu’il fallait être originaire de telle île pour être candidat dans ces primaires. Mais, la cour constitutionnelle a sorti un arrêt qui a clairement dit que Sambi ne pouvait pas l’être. Ce qui est très grave dans les motifs de l’arrêt, c’est l’utilisaion de l’expression « ressortissant anjouanais ». J’ai été particulièrement choqué car, par ce biais, la cour constitutionnelle vient à valider l’esprit sécessionniste revendiqué par des personnes qui n’avaient aucune légitimité et qui ont perdu toutes les élections d’ailleurs, après la sécession.

Vous partagez donc la même vision pour les Comores ?

Notre vision est d’abord économique. On ne peut pas parler de politique aujourd’hui sans parler d’économie. Pour favoriser l’émergence d’une économie viable, il faut réformer notre Etat. Depuis l’avènement du président actuel, c’est tout le contraire qui a été fait, sans un réel assainissement de l’Etat. Pour la première fois, dans l’histoire des Comores, le gouvernement s’est retrouvé avec une manne financière assez importante, 200 millions d’euros, issue d’un programme dit de citoyenneté économique, qui avait été élaboré par le président Sambi. La gestion de ce fonds a été complètement opaque et je la dénonce. Le président actuel a dilapidé cet argent en signant des contrats de complaisance, notamment avec la société Colas pour bitumer une partie du pays. Il y a eu une surfacturation. Ainsi, les factures standards vues aux Comores tournaient autour de  120 000 euros  le kilomètre. Colas a facturé 300 000 euros le kilomètre. Par ailleurs, 38 autres millions d’euros ont été dilapidés dans l’achat d’avions qui n’ont jamais volé, dans l’achat de bateaux… Parallèlement, depuis quatre ans, il y a eu un recrutement massif de fonctionnaires. J’ai dit au FMI et à la Banque mondiale qu’ils avaient adopté une position de complaisance car les signaux envoyés par ce gouvernement ont tous été négatifs en matière de maîtrise des dépenses publiques et de résolution des questions structurelles, notamment à propos de l’énergie aux Comores. Ma candidature s’inscrit dans une rupture par rapport à cela. Il faut qu’on comprenne que l’Etat ne peut pas sortir le pays de la pauvreté s’il ne crée pas de richesses. Actuellement, il ne fait que gérer des dons, notamment ceux de l’Arabie Saoudite qui vient de donner 40 millions d’euros. Ce n’est pas de nature à redonner sa dignité au peuple comorien. Si on veut sauver le pays, on doit instiller les réformes structurelles nécessaires pour favoriser l’émergence, un État fiable qui réforme l’administration et crée les conditions de l’épanouissement de l’économie.

Que souhaitez-vous mettre en place pour changer la donne économique ?

Une rupture de culture politique d’abord. Il ne faut pas que l’administration soit un moyen de récompenser des militants. Il faut qu’il y ait une égalité de chances, d’accession au poste de l’Etat. Je veux un Etat équitable, juste et une administration respectueuse de l’intelligence et de l’instruction.

Sur le plan économique, il faut impulser une transition d’une culture de plus-value à une culture de valeur ajoutée. Ceux qui se présentent aujourd’hui comme des hommes d’affaires ne sont en réalité que des commerçants. ils vont à Dubai, achètent et reviennent pour revendre des produits déjà finis. Or, nous recelons, aux Comores, la matière première pour créer les conditions de la transformation de produits élémentaires. On ne peut pas comprendre que dans un pays comme les Comores, dans les cérémonies, on consomme des jus de fruits importés de Charjah [Emirat], Charjah où il fait 50 degrés à l’ombre. Là-bas, ils ont eu l’intelligence de désaliniser l’eau et de ramener des mangues du Bangladesh, du sucre de Maurice et de l’emballage de la Hollande pour nous vendre leur jus. Pour faire basculer cette culture de plus-value, il faut une vision et une volonté politique pour favoriser et accompagner l’émergence d’une nouvelle race d’hommes d’affaires capables de créer de la richesse au pays. C’est fondamental. La transformation conduit à de la valeur ajoutée, laquelle crée des emplois. Appréciable dans un pays comme les Comores où il y a 40% de chômeurs mais où l’Etat recrute à l’image d’une ANPE, d’une agence pour l’emploi politique. Mon ambition est donc de faire en sorte que, demain, des hommes d’affaires se mettent à développer la production nationale. Des secteurs ne manquent pas. Ainsi de la robe traditionnelle, le kandu blanc, porté dans tous les pays musulmans. Il y a aussi d’autres produits locaux que des PME peuvent produire. Cela dit, rien ne pourra se faire si la question énergétique n’st pas résolue. Sans énergie ou avec des coupures permanentes, aucune usine ne peut fonctionner correctement.

Autre aspect : le culturel dans la construction d’une nation. Peut-on dire que c’est la même langue qui est parlée par tous ?

Oui, à quelques différences près. Grande Comore, Anjouan, Mayotte et Mohéli parlent la même langue. On se comprend dans les discussions. En réalité, la nation comorienne existe au sens occidental du terme. Malheureusement, les nuances ont été exploitées pour des raisons politiques faisant des différentes insularités des sources de divergences. A mes yeux, cela été et est un faux problème dont les Comoriens prennent de plus en plus conscience. De quoi les conduire à ne plus se laisser berner sur ce terrain là.

Et maintenant la question de Mayotte. Comment comptez-vous l’approcher ?

La France devrait accepter de discuter sereinement de Mayotte de manière à trouver ensemble un modus vivendi. Le président Sambi, il y a quelques années, avait proposé qu’il y ait une double administration favorisant à long terme la réintégration de Mayotte. Malheureusement, la France n’a pas suivi et ceux qui gouvernent actuellement n’ont pas relancé cette idée. Pourtant, il va bien falloir qu’on discute pour trouver un compromis acceptable. L’un des points importants de ce compromis serait la suppression du visa Balladur responsable de plus de 10 000 morts depuis une vingtaine d’années. On ne peut pas accepter que, quand il y a des morts en Occident, à Lampedusa, le monde s’emeut, et que pour les 10 000 morts des Comores, cela soit le silence total. À mon avis, la réintégration de Mayotte se fera sur le long terme, naturellement. Car il faut tenir compte des acquis des Mahorais face au contexte de pauvreté absolue des Comores .

Il y a aujourd’hui 40% de chômeurs et une jeunesse massivement à l’étranger. Que comptez-vous faire ?

Il y a eu des grands chantiers mis en place par le gouvernement Sambi. Malheureusement, pour le pouvoir actuel, ce n’était pas une priorité. Le président Sambi a pu arracher un investissement qatari de plusieurs dizaines de millions de dollars pour la création d’une usine de pêche qui devait, à l’origine créer 4000 emplois, qualifiés et non qualifiés. Jusqu’à présent, elle n’est pas opérationnelle. Pourtant, 4000 emplois, c’est le tiers des emplois de la fonction publique. Sur l’éducation, l’enseignement actuel n’est pas adapté aux exigences économiques de demain. Il faut donc trouver des solutions à tout cela. Je m’y évertue dans mon livre blanc. J’y ai parlé d’économie verte. Oui, car il faut créer les conditions pour que les Comores se mettent sur le créneau du bio à travers une chaîne alliant les produits et nos terres. Pour cela, il faut penser global, empêcher l’importation d’engrais chimiques, favoriser la production d’engrais naturels. C’est faisable car la technique existe aujourd’hui. Parallèlement, un vrai plan d’occupation des sols est nécessaire qui va identifier les zones cultivables et les zones réservées à des infrastructures. Par ailleurs, je pense à développer une économie maritime respectueuse de nos côtes. C’est d’autant plus pertinent que les Comores sont  un petit pays en terme de surface terrestre mais un très grand pays sur le plan maritime. Nous avons 200 000 marins autour des trois îles, ce qui fait un vaste espace à préserver. On en est loin aujourd’hui avec l’acceptation de l’importation de produits non-biodégradables, une vraie catastrophe et ce, d’autant qu’il n’y a pas d’usine de traitement de déchets. Autant dire que je pense à un projet global qui intègre toutes ces préoccupations…

Le volet stratégique des Comores, entre terre et océan dans une zone sensible…

Les Comores doivent réintégrer leur environnement naturel, celui de la Communauté de l’Afrique de l’Est, sans tourner le dos à la Commission de l’Océan indien(COI) où elle sont avec la France du fait de la Réunion. Faut tenir compte du fait que nous avons des liens historiques millénaires avec Zanzibar, sur l’océan Indien, et Mombassa, sur le Continent. D’ailleurs, la proximité de notre langue avec le Swahili l’illustre bien. Il s’agit donc pour les Comores de ne pas opposer ces deux espaces mais jouer de leur complémentarité. Autre atout : notre appartenance à la Ligue arabe. Cela peut faire des Comores une porte d’entrée francophone vers les pays du Moyen-Orient.

Beaucoup de Comoriens à l’extérieur dont 300 000 en France. Pourquoi voulez-vous rencontrer cette diaspora alors qu’elle ne votera pas ?

La diaspora comorienne a droit, même si elle  ne participe pas au vote, de savoir ce qui se passe dans le pays. Nous sommes là pour expliquer notre vision, faire le constat de ce qui ne marche pas et déterminer la responsabilité des uns des autres. C’est un devoir d’éclairer la communauté comorienne vivant ici. Nous organiserons ce scrutin à l’avenir avec la diaspora. On en prend l’engagement. On le fera proprement, si nous sommes élus, contrairement à ce gouvernement actuel qui n’a pas été capable de l’organiser.

Comment la diaspora va-t-elle contribuer ?

La diaspora soutient beaucoup les Comoriens restés au pays. Ceux-ci ne pourront pas manquer d’écouter leurs recommandations. C’est très important car le Comorien de France est un citoyen plus averti et plus indépendant économiquement. J’ai beaucoup regretté avec Sambi que les Comoriens d’ici ne participent pas.

Actuellement, chaque pays africain y va de son Plan émergent. Que contiendrait un plan Comores émergentes ?

Les Comores, de par leur position insulaire, ont un rôle majeur à jouer. Il faudrait en faire un pont entre la Chine et l’Afrique. Il faudrait que l’on transforme les Comores en carrefour aérien et maritime mais aussi comme une porte d’entrée vers l’Afrique. Sachez que nous sommes à 6 heures de Dakar et 12 de Pékin. De Pékin à Dakar, c’est 18 ou 20 heures de vol. Cela montre que les Comores ont peut être cette vocation. Sur le plan maritime, les bateaux qui remontent vers l’Afrique du Sud ou qui passent par Dakar, vers le Moyen Orient, passent aussi par les Comores, dans l’océan Indien. On pourrait, à terme, créer un grand port ou une zone franche qui pourrait dispatcher un peu cette économie maritime. Beaucoup de choses sont à faire mais cela nécessite une remise à niveau de l’administration. Nos dépenses publiques doivent être maitrisées et la masse salariale des fonctionnaires ramenée à des proportions acceptables. On ne peut aujourd’hui continuer à consacrer 80% de notre budget à payer des fonctionnaires. Il faut ramener cela à 40, 45%/. Il faut que le Comorien, le jeune, ait la volonté de se mettre dans le privé. Mais, pour cela, il faut créer les conditions pour que la réussite soit envisageable dans le privé. Oui, parce que, l’Etat ne sera jamais riche avec une population pauvre. Il faut que l’on crée les conditions pour que la population s’enrichisse. Je ne veux pas d’un Etat riche et d’une population pauvre. Je préfère voir un Etat très modeste avec une population enrichie.

Propos recueillis par Malick Diawara et Houmi Ahamed-Mikidache

http://afrique.lepoint.fr/

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